Petite histoire de l'appel, en août 2010, de personnalités en faveur d'un sixième mandat du président tunisien.
Au mois d'août 2010, le quotidien arabophone Echourouq publie un appel de 65 personnalités tunisiennes (médecins, avocats, personnalités de la culture, etc.) de divers horizons, au président Ben Ali, l'exhortant à se représenter pour un nouveau mandat présidentiel (le sixième) de 2014 à 2019. Quelque temps plus tard, le nombre des signataires passe à 100 puis à 1000. Cette prose atteint un rare niveau de flagornerie.
Pour leur défense, les signataires (ou leurs proches) expliquent qu'ils n'ont "jamais lu le texte pour lequel ils auraient soit disant pétitionné. Quand ils l'ont été, ils ont été contactés par la présidence avec pour seule question: - On veut que M. le Président se représente en 2014, êtes-vous avec ou contre le président?", rapporte un internaute de LEXPRESS.fr. Si cette réserve vaut pour les listes de 100 et de 1000 qui ont suivi la première mouture, nombre d'observateurs mettent en doute le fait que les 65 premiers signataires aient totalement ignoré leur présence sur cette liste.
Extraits:
"La Tunisie a choisi, sous votre conduite, la voie de la réforme et de la modernisation et le défi aujourd'hui est de poursuivre sur cette voie, après que vous ayez enrichi, d'un capital sans équivalent, notre expérience nationale en matière de changement social et de construction civilisationnelle, un capital qui vous a valu la confiance de votre peuple, et dont témoignent la prospérité de notre peuple et son bien-être, ainsi que le progrès du pays et son développement qui lui a valu d'occuper les meilleurs positions dans son environnement régional et international".
Le texte et la liste sont consultables sur le portail tunisien Kapitalis: "Les signataires, dont de nombreux anciens ministres, médecins, universitaires, hommes d'affaires et artistes, concluent leur appel en disant: 'Toutes les mutations importantes autour de nous et celles à venir soulignent la nécessité pour la Tunisie d'un commandement de la valeur de celui du président Zine El Abidine Ben Ali, avec tout son poids et toute sa sagesse'.
De rares réactions
Au moment de la parution de la pétition, Yahyaoui Mokhtar s'étranglait sur le site d'opposition TunisiaWatch: "En lisant le texte de l'appel, on dirait que le président Ben Ali est réticent à 'poursuivre la direction de la Tunisie'. Or, ce n'est pas le cas, tout le monde sait à l'intérieur comme à l'étranger que le président Ben Ali ne lâchera jamais le pouvoir de son propre gré."
"J'aimerais sincèrement croire que ces personnes eussent été manipulées, voire forcées à signer cette ignoble missive, mais mon petit doigt me dit (excusez la petitesse de ma source) que cette "élite" qui a toujours brillé par son silence durant 22 ans de dictature, a simplement confondu son besoin à ELLE de Ben Ali avec celui de l'ensemble de la Tunisie", se moque un auteur sur le blog collectif Nawaat.
Copie d'écran du site Nawaat de Tunisie.
Rebondissements
Si l'affaire a fait peu de bruit à l'époque, censure oblige, elle rebondit aujourd'hui sur la toile, alors que plusieurs des signataires ont été pris en flagrant délit de retournement de veste.
Ainsi, le cinéaste et producteur tunisien Tarek Ben Ammar, qui explique sur Europe 1 que le peuple tunisien a courageusement tourné cette page et combien cette "révolution" est salutaire. Notre confrère Renaud Revel a rappellé sur son blog qu'il est signataire de la fameuse liste.
Une autre personnalité célèbre du "renouveau tunisien" fait partie de cette liste, il s'agit de la ministre de la Culture Moufida Tlatli, comme nous l'indiquions le 18 janvier.
Par ailleurs, cette fameuse liste semble mettre dans l'embarras ceux qui l'avaient mise en ligne. Ainsi, le blogueur Sami Ben Abdallah révélait, ce 19 janvier au matin que le site Leaders dirigé par l'homme d'affaires Taoufik Habaieb venait de retirer la liste de son site, et rappellait que ce dernier "avait exprimé son souhait publiquement de rejoindre" les pétitionnaires. La liste était à nouveau accessible sur Leaders quelques heures plus tard.