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dimanche 6 février 2011

«Il ne faut pas confondre diplomatie et complicité»

Monde 20/01/2011 à 00h00 (mise à jour à 11h05)

Interview

Attaqué par François Fillon, Lionel Jospin nie toute complaisance passée:

Par PAUL QUINIO

Lionel Jospin, en septembre 2010.

Lionel Jospin, en septembre 2010. (REUTERS)

«Je pourrais, pour y répondre, citer de larges extraits du très beau discours de Lionel Jospin en octobre 1997 lorsqu’il recevait à Matignon le président Ben Ali.» Ainsi s’exprimait François Fillon, mardi à l’Assemblée nationale, pour voler au secours de sa ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, très critiquée pour avoir proposé de mettre à disposition du président Ben Ali «le savoir-faire» français en matière de maintien de l’ordre. Histoire de renvoyer droite et gauche dos à dos dans leur complaisance à l’égard du régime de Ben Ali, le Premier ministre a ressorti un discours de 1997 de son prédécesseur, prononcé lors d’une visite à Paris du président tunisien. Un parallèle qui ne passe pas du côté de Lionel Jospin, qui réplique dans Libération à François Fillon.

N’est-ce pas de bonne guerre de la part de François Fillon de renvoyer la gauche et la droite à leur complaisance avec le régime tunisien?

J’ai été d’autant plus surpris par les déclarations de François Fillon que je ne passe pas mon temps à critiquer son gouvernement et que je n’ai jamais été complaisant avec le régime tunisien. François Fillon amalgame deux interventions totalement différentes : d’un côté une allocution faite par moi lors d’une visite d’Etat, hors de tout trouble en Tunisie ; et de l’autre une proposition de coopération policière faite par Michèle Alliot-Marie en pleine révolte populaire et alors qu’on comptait des morts. Il ne faut pas confondre diplomatie et complicité. Je précise qu’en 1997 le président Ben Ali avait été invité en France par Jacques Chirac avant même que je sois Premier ministre. Je l’ai reçu, l’usage voulant que, lors d’une visite d’Etat, les hôtes de la France soient reçus à l’Elysée et à Matignon.

De là à parler de la «qualité des dirigeants tunisiens»…

En langage diplomatique, parler «des dirigeants tunisiens», c’était omettre le premier d’entre eux. On ne trouve, dans mon discours d’alors, aucune louange adressée à notre invité. Je me réfère constamment dans mon propos au peuple tunisien, à la nation tunisienne… J’ai par ailleurs profité d’un tête-à-tête pour dire au président Ben Ali - qui m’invitait de façon pressante à venir en Tunisie - que je ne m’y rendrais pas tant que la société y resterait aussi contrainte. De fait, en cinq ans à Matignon, je n’y suis jamais allé.

Michèle Alliot-Marie doit-elle selon vous, comme le réclame certaines personnalités de gauche, démissionner?

Ses déclarations, faites semble-t-il en plein accord avec l’Elysée, sont au pire choquantes, au mieux extrêmement maladroites.

La gauche n’est tout de même pas exempte de reproches. Elle aussi a été complaisante avec le régime, notamment sous le second septennat de François Mitterrand…

La France a des relations diplomatiques avec tous les pays et donc aussi avec des régimes autoritaires. Mais la diplomatie n’est pas la complaisance. Et, quand un peuple se révolte, on doit changer de ton. Ma position constante vis-à-vis de la Tunisie, dès l’époque du président Bourguiba, a été de manifester mon amitié envers le peuple tunisien et d’être sur la réserve vis-à-vis de ses dirigeants quand c’était justifié.

Que doit faire la France aujourd’hui?

La situation est complexe et incertaine. Nous n’avons pas de conseils à donner aux Tunisiens. Jouer le scénario positif c’est sans doute, pour les formations politiques françaises, être solidaires des forces de la société civile tunisienne, en particulier laïque, des associations de défense des droits de l’homme, des syndicats, des forces politiques d’opposition démocratique… Si les événements vont dans le bon sens, il faut que la France et l’Europe aident économiquement et financièrement la Tunisie à traverser ce moment difficile et plein d’espoir.

L’argument du danger islamiste a été servi et resservi pour justifier les relations entretenues avec le régime de Ben Ali. N’est-il pas usé?

Il n’y a pas, à mon sens, de péril islamiste en Tunisie. Faisons confiance aux forces démocratiques et progressistes, à la société civile tunisienne qui aspire à la liberté. Sur le moyen et le long terme, j’ai la conviction que les dictatures ne sont pas le meilleur rempart à l’islamisme.