L'actualité internationale est incontestablement dominée par les révolutions en cours dans plusieurs pays arabes. A l'heure où tous les regards sont tournés vers l'Egypte et sa transition vers l'après-Moubarak, nous avons décidé de retourner en Tunisie, point de départ de cette vague de protestations. Le 14 janvier 2011, le Président Zine el-Abidine Ben-Ali, quittait le pays après un mois d'émeutes sanglantes. Nous avons cherché à savoir quelle était la situation sur place un mois après le renversement de la dictature.
Par Guitel Ben-Ishay
Nous avons donc interrogé deux Tunisiens qui nous ont livré leur sentiment. Le premier, Ftouh Souhail, Musulman, est avocat à Tunis, le deuxième, Yossef Uzan, est un membre de la communauté juive de Djerba. Leurs analyses divergent et vous serez certainement surpris de découvrir lequel des deux semble le plus inquiet. A vous d'en juger.
Le P'tit Hebdo : Pouvez-vous en quelques mots nous résumer la situation, pourquoi la rue s'est-elle soulevée et quels sont les résultats pour le moment de ce soulèvement? Quelle est l'ambiance dans les rues de Tunisie?
Ftouh Souhail : Le clan Ben Ali, était malheureusement une mafia à la tête de l'Etat. Les clans de l'ex-président tunisien et de sa femme Leila Trabelsi ont sans vergogne utilisé leur pouvoir pour s’enrichir sur le dos de l'économie tunisienne. La fortune de Ben Ali est estimée à 5 milliards d'euros. En même temps la corruption et le chômage augmentaient dans le pays. Les régions pauvres de Tunisie se compte par centaines. La pauvreté régionale était la cause principale de cette révolte. Il y a deux milliers de Tunisiens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Le chômage a donc joué un rôle primordial dans cette révolution.
Ce soulèvement a entrainé la mort de 234 personnes et 510 ont été blessées depuis le début des violences et le départ du président. Le peuple qui s'est senti opprimé, spolié par la corruption et abandonné se trouve aujourd’hui confronté à des Islamistes qui jouent la carte de « monsieur propre » pour prendre le pouvoir, pour rendre encore plus malheureux les Tunisiens! Les Islamistes tunisiens qui ont joué un rôle mineur dans le renversement de Ben Ali ne vont sûrement pas hésiter à profiter pleinement de l'opportunité qui s'offre à eux. Je crains malheureusement que l'Islamisme ne s'installe en force dans ce pays.
La situation sur le terrain est instable en Tunisie. Les pilleurs et les miliciens font régner la terreur sur Tunis. La Tunisie qui vient de mettre fin à 23 ans de gouvernement quasi-dictatorial, vit une situation chaotique. Le 31 janvier 2010, des partisans du mouvement islamiste tunisien Ennahda ont incendié la synagogue d'El Hamma, près de la ville de Gabès. Aucune enquête n'a été ouverte.
Lph : En tant que Tunisien, défenseur des libertés individuelles, pensez-vous que cette révolte est légitime et surtout qu'elle est menée dans le sens d'une évolution démocratique?
F.S : La chute du président tunisien Ben Ali sous la pression de la rue constitue une suite normale à un régime corrompu. La dictature était devenue insupportable. Mais attention les dirigeants de la transition en Tunisie doivent établir une nouvelle voie plus démocratique pour le pays suite au départ de l’ancien Président qui avait occupé le pouvoir pendant plus de deux décennies. L’islamisation qui menace notre pays n’est pas un bon signe. Ce que nous voyons aujourd’hui dans les rues de Tunis, n’augure rien de bon. De nombreux « militants » islamistes tunisiens veulent participer à la scène politique. Dans les universités et les établissements scolaires, de nombreuses étudiantes ont remis le voile qui était interdit dans le pays. On constate aussi une propagande anti-israélienne et antisémite dans les mosquées. Des centaines d’Islamistes tunisiens sont aussi de retour après l’arrivé de leur chef Rached Ghannouchi.
Lph : D'un point de vue plus global, pensez-vous que le monde arabe dans son ensemble est en train de changer? Est-il réellement capable d'une introspection?
F.S : A défaut d’une prise de conscience immédiate et douloureuse, le monde arabe se retrouvera à coup sûr condamné à sombrer dans la déferlante islamiste. Un tsunami risque de balayer les régimes arabes et surtout un danger les guette car les fondamentalistes, alliés d’Al Qaeda et de l’Iran, vont agir à présent ouvertement pour récupérer à leur profit les mouvements de protestation. Si l'Egypte bascule, c’est la fin du traité de paix avec Israël, la charte des Frères Musulmans le mentionne clairement. Déjà la frontière entre l'Egypte et Gaza n'existe plus puisque le Hamas et les Frères Musulmans se sont rencontrés pour faire front commun.
J’ai peur de voir un séisme géopolitique au Moyen Orient qui va faire le bonheur des nazis verts. Le problème ne concerne pas seulement Israël. Dans le camp des partisans de la paix, nous essayons malgré tout de rester vigilants. Nous plaidons pour la défense de la laïcité, les droits des femmes et des minorités et nous prions aussi pour la paix et la sécurité des Juifs en Israël.
Yossef Uzan
Le P'tit Hebdo : Comment vivez-vous à Djerba, un mois après le départ du Président Ben-Ali ?
Yossef Uzan : Nous ne ressentons pas grand-chose des mouvements de contestations. Il est clair, par ailleurs, que ces mouvements se sont atténués.
Lph : Et en tant que Juif, ressentez-vous les évènements d'une autre manière ?
Y.U : Non. Nous vivons notre vie normalement, nous ouvrons les magasins, sortons, pratiquons notre religion.
Lph : L'antisémitisme n'a pas augmenté ?
Y.U : L'antisémitisme n'est pas plus important aujourd’hui. Je ne peux pas dire que cela nous empêche de vivre normalement. Nous continuons à pratiquer la Torah et les mitsvot.
De toute façon, les Arabes ne s'intéressent pas aux Juifs en ce moment, ils se révoltent contre le pouvoir.
Lph : Une synagogue a quand même été incendiée !
Y.U : Il s'agit d'un acte isolé. Cette synagogue n'était pas tellement fréquentée. Les actes de vandalisme ou de destruction sont essentiellement orientés contre les symboles du pouvoir.
Lph : Certains observateurs voient d'un œil inquiet la montée de mouvements islamistes. Cela vous touche-t-il ?
Y.U : Je ne crois pas que l'extrémisme soit plus fort depuis cette révolution. D'après moi, les Islamistes ne constituent pas une menace directe. L'autorite de la police a certes ete affectee par les emeutes mais nous voyons au quotidien, qu'elle essaie de faire son travail. Elle tente de ne pas laisser pas les fauteurs de troubles gagner du terrain.
Lph : Selon vous, les Juifs de Tunisie n'ont pas de souci à se faire et ne pensent pas à partir ?
Y.U : D' merci, nous vivons bien. Nous faisons notre vie sans nous mêler de questions politiques. Quelques Juifs songent certainement à faire leur alya. Mais je ne pense pas qu'ils représentent une majorité. Il n'y a aucune raison de faire du bruit autour de l'immigration juive en provenance de Tunisie.
Lph : Vous êtes donc confiant pour l'avenir ?
Y.U : Le nouveau gouvernement va se renforcer. La situation ne peut aller qu'en s'améliorant s'il parvient à donner du travail aux Tunisiens et à redresser l'économie du pays.
En ce qui me concerne et en tant que Juif, je n'ai confiance qu'en D'.
Par Guitel Ben-Ishay
Le P'tit Hebdo