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mardi 1 février 2011

Pris de court, Washington cherche un équilibre en Egypte

il y a 3 heures 6 min

Reuters Andrew Quinn


La révolte égyptienne a pris de court l'administration américaine qui se trouve désormais face à l'obligation d'un arbitrage entre ses intérêts stratégiques au Proche-Orient et son souhait d'une réforme politique dans la région.

Barack Obama et la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, ont tous deux été critiqués pour leur lenteur à prendre la mesure des bouleversements qui se déroulent en Egypte où des milliers de personnes exigent depuis une semaine le départ d'Hosni Moubarak.

Clinton s'est vu railler pour sa première réaction, jugeant que le gouvernement était "stable" face à la contestation visant le président égyptien, un vieil et fidèle allié des Etats-Unis, au pouvoir depuis 30 ans.

Depuis, la chef de la diplomatie s'est placée sur une ligne nettement plus critique fixée par le président Obama qui a souhaité ce weekend une "transition ordonnée" en Egypte.

Cette déclaration de l'hôte de la Maison blanche a été interprétée comme un signe que Washington envisageait de lâcher Moubarak et que les jours de ce dernier au pouvoir étaient comptés.

Certains observateurs politiques ont fait un parallèle embarrassant entre cette prudente réponse américaine aux événements actuels et la promesse faite par Obama, lors d'un discours au Caire en 2009, d'oeuvrer à une plus grande liberté dans le monde musulman.

"Les Etats-Unis doivent rompre avec Moubarak maintenant", estimait le Washington Post dans un éditorial, samedi. Une demande qui a toutes les chances d'être mal perçue en Jordanie et en Arabie saoudite, autres alliés américains dans la région.

La vitesse à laquelle se déroulent les événements place l'administration Obama dans une situation délicate: tenter d'encourager les réformes sans imposer son avenir à l'Egypte.

WIKILEAKS A BROUILLÉ LES REPÈRES

"Personne ne sait quel régime va s'installer au pouvoir une fois que tout cela sera terminé. Ni comment les Egyptiens vont percevoir ce nouveau régime. Il n'y a simplement aucun moyen de savoir comment cela va tourner", explique Anthony Cordesman spécialiste des questions de sécurité nationale au Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS) de Washington.

Selon lui, les appels en faveur d'une intervention plus large des Etats-Unis sont irréalistes.

Fidèle soutien des Américains, Moubarak a souvent avancé l'argument de la menace islamiste pour justifier son maintien à la tête de l'Egypte pendant trois décennies.

Le pays est l'un de deux Etats arabes à avoir signé une paix avec Israël et il est souvent perçu comme un contrepoids à l'influence de l'Iran dans la région.

Malgré cette importance stratégique, Washington ne dispose que d'une influence relative sur Le Caire. Environ 1,3 milliard de dollars d'aide militaire sont fournis chaque année mais cela ne représente plus qu'un pour cent du PIB égyptien contre 20% en 1980.

"Il existe une relation profonde et étendue, mais je ne pense pas que cela crée une forme de dépendance", explique Jon Alterman, directeur du programme sur le Proche-Orient au CSIS.

Les Américains ont été clairement surpris par la rapidité avec laquelle s'est propagée la contagion en provenance de la Tunisie où des manifestations ont chassé le président Zine ben Ali le 14 janvier.

Responsables américains et européens reconnaissent que la généralisation des médias sociaux comme Facebook ou Twitter mais également les documents confidentiels publiés sur WikiLeaks ont été des facteurs qui ont rendu difficile de prévoir ce qui est en train de se passer.

Pour l'instant, la position officielle de la Maison blanche et du département d'Etat est la prudence, l'avenir de l'Egypte devant être décidé par les Egyptiens.

"Il ne nous appartient pas de faire ces choix. Il nous appartient d'encourager l'Egypte à ouvrir un espace pour qu'intervienne une vraie réforme économique et politique", a dit P.J. Crowley, porte-parole du département d'Etat.

En privé, un haut responsable américain exprime pourtant sa frustration face aux demandes en faveur d'une approche publique plus engagée.

"C'est toute l'ironie: d'un côté, nous sommes accusés de tout dominer et de tout diriger. Et d'un autre côté, on nous reproche de ne pas tout dominer et de ne pas tout diriger", note-t-il. "Ce n'est pas à nous de décider ce qu'il se passe ici".

Pierre Sérisier pour le service français