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samedi 19 mars 2011

Bernard-Henri Lévy, Quand Sarkozy lâche Kadhafi : coulisses - La Règle du Jeu

Quand Sarkozy lâche Kadhafi : coulisses

Bernard-Henri Lévy

Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy

Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy

L’histoire est simple.

Je n’ai pas voté pour Nicolas Sarkozy.

Sauf hypothèse dramatique et, j’espère, improbable où il se retrouverait, au second tour de la prochaine présidentielle, comme Chirac en 2002, face à une Le Pen, je voterais à nouveau contre lui.

Je suis de ceux qui dénoncèrent, il y a trois ans, infirmières bulgares ou pas, la réception en grande pompe, flonflons, tapis rouges, etc., d’un Kadhafi dont on savait déjà qu’il était un psychopathe doublé d’un assassin.

Et je ne parle même pas des Roms, du débat sur l’identité nationale, du braconnage idéologique sur les terres frontistes, je ne parle même pas de tous les sujets, sans nombre, sur lesquels c’est peu de dire que je suis en désaccord avec lui.

Seulement voilà.

Je me trouve en Libye.

J’ai, dans les yeux, l’image de ces insurgés qui n’ont jamais, de leur vie, tenu une arme entre les mains et que l’on voit monter au front où les attendent les mercenaires et les avions d’un régime qui s’est dit prêt à noyer son propre pays dans « des rivières de sang ».

J’ai, dans l’oreille, outre les témoignages des citoyens de Benghazi qui m’ont raconté, pendant cinq jours, l’horreur de ce régime, de ses prisons, de ses centres de torture souterrains, la voix d’Abdul Hafiz Gogha, porte-parole du Conseil national de transition, celle de Mustafa Abdeljeleel, son président, celle de leurs adjoints et commandants, que les atermoiements de la communauté internationale rendent fous de désespoir.

Impuissant devant tant de détresse, j’appelle, à tout hasard, le président de la République de mon pays et lui dis qu’il y a une chose, une déjà, peut-être une seule, qu’une grande démocratie peut faire et qui consisterait à recevoir Abdeljeleell, ou Gogha, ou n’importe lequel de leurs émissaires et à leur dire : « Kadhafi n’est plus digne de représenter votre pays ; vous seuls, représentants de la Commune libre de Benghazi, en avez désormais la légitimité et le droit ».
Et il se trouve que le président de la République a, aussitôt, le juste réflexe – pas le calcul, non, le réflexe, l’un de ces purs réflexes qui font, autant que le calcul ou la tactique, la matière de la politique ; il se trouve qu’il a le même type de réflexe qu’eut François Mitterrand le jour où, dans des circonstances tragiquement semblables, alors que la Bosnie brûlait, je l’appelai de Sarajevo pour lui annoncer que je lui amenais le président bosniaque Izetbegovic ; le président Sarkozy, donc, se trouve avoir le juste réflexe et me répond, au téléphone, qu’il recevra les envoyés de M. Abdeljeleell, à la date de leur choix, et que cette réception vaudra reconnaissance.

L’événement, comme chacun sait désormais, aura lieu, le 10 mars au matin, avec les honneurs, en ce palais de l’Elysée dont je savais qu’il était, pour eux, symbole de démocratie et de droits de l’homme.

Le président de la République, ce jour-là, ne parlera évidemment pas, comme l’ont écrit les commentateurs pressés, d’aller « bombarder la Libye ».
Il ne cessera d’insister, au contraire, sur le fait que la révolution libyenne ne peut être faite que par les Libyens eux-mêmes, et il dira, au passage, son opposition à toute opération menée sous pavillon de l’Otan.

Mais il s’engagera, en revanche, à tout mettre en œuvre pour convaincre ses partenaires d’aider le Conseil national de transition et, à la demande expresse de celui-ci, de neutraliser les avions avec lesquels Kadhafi mitraille les colonnes de la liberté libyennes et, à l’occasion, les manifestants désarmés.

J’ignore, à l’heure où j’écris, ce vendredi 11 mars, 18 heures, si le président français, rejoint par le Premier ministre britannique, saura triompher des arguties juridico-frileuses des uns ou des autres.

J’ignore – et cela, compte tenu de l’enjeu, me paraît, franchement, très secondaire – s’il a, comme le répètent en boucle les maniaques du protocole, mis dans la confidence, ou non, tel ou tel de ses ministres.

Je sais juste qu’à cet instant je suis fier de mon pays – et que cela ne m’était pas souvent arrivé depuis le 16 mai 2007.

Surtout, je prie pour voir la Libye débarrassée, dans les délais les plus brefs, du gang de Néron illettrés qui ont fait main basse sur leur pays et l’ensanglantent, pour l’heure, impunément.