Nombre total de pages vues

samedi 19 mars 2011

La Libye libre menacée. Que va faire la France?

Gilles Hertzog

Nicolas Sarkozy a reçu hier deux émissaires du Conseil national de transition libyen, Mahmoud Jibril (au centre) et Ali Essaoui (à droite), chargés des affaires internationales.

Nicolas Sarkozy a reçu hier deux émissaires du Conseil national de transition libyen, Mahmoud Jibril (au centre) et Ali Essaoui (à droite), chargés des affaires internationales.

Jeudi 10 mars, La France, par la voix de Nicolas Sarkozy, reconnaît le Conseil national de transition libyen.

Pour la première fois depuis que la Libye, après la Tunisie et l’Égypte, a entrepris de s’affranchir, les armes à la main, du dictateur qui l’outrage, un grand pays occidental tire les conséquences de la situation et n’attend pas la victoire « sûre et définitive » du camp de la liberté pour lui apporter son appui une fois l’affaire réglée, en bon ouvrier de la vingt-cinquième heure — ou pour pleurer, si l’affaire tourne mal, sur le sort des vaincus abandonnés à leur sort.

En 2001, le commandant Massoud vint à Paris. Il ne fut pas reçu à l’Élysée pour de médiocres raisons diplomatiques. Une grande occasion avait été gâchée. Quelques semaines plus tard, il était assassiné.

Pour la première fois depuis longtemps, la France prend donc les devants, tend la main à un peuple qui se libère, et nous en sommes fiers. Si la Libye libre gagne, notre pays n’y aura pas été pour rien.

D’autant qu’il y a urgence. Les troupes de Kadhafi sont revenues en force, à 250 kilomètres de Benghazi.

A Benghazi, la foule remercie la France, le drapeau français est hissé. Cette image restera. Elle a d’ores et déjà fait le tour du monde arabe.

En Europe, suite à la reconnaissance par notre pays de la Libye libre, dans les chancelleries, le tollé est général. « Cavalier seul ! » « Fait accompli ! » « Coup d’éclat ! » « Effet d’annonce ! » « Et la Solidarité Européenne, bordel ? » N’en jetez plus.

La consternation des diplomates de tous bords nous consterne sans nous surprendre. Depuis le temps, c’est encore et toujours la même désespérante histoire qui se répète.

Le vingtième siècle aura, continument, été le siècle des atermoiements, des accommodements, des reculades. Il aura été le siècle en majesté des Norpois et des Ponce-Pilate. Du massacre des Arméniens au siège de Sarajevo, quatre-vingt ans plus tard, de Madrid 1936 à Munich et à la Shoah, de Berlin 1953 à Budapest 1956, de Prague 1968, Gdansk 1981, au Liban sous la botte syrienne, les démocraties occidentales, toutes larmes à l’œil, sont restées, à chaque fois, l’arme au pied.

Passe encore face à Hitler ou Staline. Mais devant Milosevic, Karadzic ou, aujourd’hui, Kadhafi ! Ah, oui, pardon, une exception, le Kossovo. L’honneur est sauf…

Sarajevo, juillet 1995. Les Serbes du général Mladic attaquent l’enclave de Srebrenica, sous protection des Casques Bleus des Nations Unies, qui ne bougent pas. Un massacre est redouté. Mladic est sur place et ses méthodes sont connues. Se doutant du pire, un officier français part de Sarajevo avec un détachement vers Srebrenica. Il lui est intimé l’ordre, depuis Paris, de faire immédiatement demi-tour. La suite est connue.

Aujourd’hui, les chars, les canons, les avions de Kadhafi ont arrêté par un barrage de feu à Ras Lanouf les soldats libyens de la liberté, ces combattants improvisés, armés, pour l’essentiel, de leur seul enthousiasme, qui allaient marcher vers Tripoli. Les troupes du tyran, ses mercenaires étrangers, ne sont plus, de ce fait, qu’à 250 kilomètres de désert, sans aucun obstacle, de Benghazi, la capitale provisoire de la Libye libérée, sans défense ou presque, que quitteraient déjà certaines télévisions étrangères.

Que va faire Madame Merkel ? Répéter pieusement une fois de plus : « Kadhafi doit partir » ? S’aligner sur Berlusconi le pro-Libyen ? Souviens-toi, Angela, de Berlin 1953 et de la révolte des ouvriers berlinois écrasée dans le sang par l’occupant soviétique !

Nul, dans la Libye libérée, ne demande l’envoi de troupes étrangères. Il ne s’agit pas de mourir pour Benghazi. Envoyer des armes, pas davantage. Le temps presse trop, pour apprendre à s’en servir. La solution est connue. Elle est simple.

1) Décréter d’urgence une no-fly zone, face à une aviation libyenne, de l’avis unanime, en piteux état, qui n’est dangereuse que pour ceux qu’elle bombarde impunément à vue.

2) Frapper de loin les quelques aéroports militaires d’où décollent ces avions.

3) En appeler, en cas de danger imminent sur Benghazi et, au-delà, en soutien aux libérateurs libyens, à une intervention, sous l’égide de la Ligue arabe, du grand voisin égyptien et de son armée, qui s’est déjà grandie en destituant Moubarak.

L’Europe encore sur la Libye. Son communiqué. Un pur chef d’œuvre.

« Afin de protéger la population civile, les États membres étudieront toutes les options nécessaires, pour autant que la nécessité en soit démontrée, qu’il existe une base juridique claire et que le soutien de la région soit acquis. »

Question : Quelles sont la vitesse de progression d’une colonne de chars dans le désert et la durée d’étude « d’une option nécessaire afin de protéger la population civile, pour autant que la nécessité en soit démontrée » ? Combien de temps, la démonstration de cette nécessité ? Combien de morts, combien de souffrances pour faire enfin « nécessité » ?

Un dernier mot. Sur le bouc émissaire. Sur BHL. Sur celui par qui tout « ce mauvais scénario » serait arrivé, cette « précipitation ». Sur ce diplomate pirate !

Nous étions il y a une semaine à Benghazi. Nul ne connaissait l’écrivain français. Nous rencontrâmes des membres du Conseil Transitoire de la Révolution, pas encore institué en Conseil National. Lévy évoqua la possibilité d’un contact, s’ils le souhaitaient, avec la présidence française. Les personnes présentes le regardèrent, incrédules, un brin sceptiques. Un vieux professeur de français de l’université de Benghazi fut requis pour confirmer que ce Français avait une certaine notoriété en France comme intellectuel engagé et qu’il s’était mobilisé jadis pour la Bosnie et pour Massoud. Nous fûmes bientôt reçus par le Président de ce Conseil, Mustafa Abdeljeleel, à qui Lévy retransmit sa proposition de jouer les bons offices avec Paris, où il venait d’alerter le président Sarkozy, qui avait manifesté d’emblée son intérêt et donné son feu vert à l’accueil d’un envoyé libyen. Nous devions repartir le lendemain ou le surlendemain. Et Lévy, dans la foulée, proposa qu’un envoyé reparte avec nous. Dans la soirée, deux émissaires vinrent apporter la réponse. Le Conseil transitoire venait de se transformer en Conseil National et avait nommé une direction de quinze membres connus, dont deux chargés des Relations internationales. Ils iraient, question de bon voisinage et de soutien primordial du grand voisin égyptien, d’abord au Caire. Puis, de là, ils gagneraient, en effet, Paris. Le rendez-vous eut lieu jeudi.

On a reproché au Président Sarkozy d’avoir joué en solo. On peut mesurer rétrospectivement, aux protestations hypocrites sur la « méthode » (portant, bien entendu, sur le fond), quels obstacles, quelles manœuvres, au sein même de l’Administration française, il aurait certainement affrontés s’il avait procédé autrement. Les diplomates n’ont pas leur pareil pour alerter leurs homologues étrangers quand il s’agit (au prétexte d’adopter une position et une action communes) de bloquer une mesure qui dérange leur indifférence fatiguée au monde, à ses espoirs, à ses appels et à ses cris. On ne connaît que trop leurs sages (?) manœuvres pour botter en touche.

Les manœuvres dilatoires, à l’approche du danger sur Benghazi et toute la Libye libérée, ne sont plus de mise. L’heure d’une solidarité concrète est venue. La parole est aux politiques et aux militaires. Arabes, européens, américains. Elle est, par-dessus tout, à l’opinion publique, ici comme ailleurs.

Le printemps arabe ne peut pas mourir aux portes de Benghazi.