Pour Barah Mikaïl, directeur de recherche sur l’Afrique du Nord et le Moyen Orient à la fondation pour les relations internationales et le dialogue extérieur, « la France cherche à montrer qu’elle est en capacité de leader » après les « erreurs » lors de la révolution tunisienne. Une nouvelle « rupture » du chef de l’Etat. Le chercheur estime que « la voie française n’a absolument pas connu d’aboutissement » à l’ONU. Il explique pourquoi. Entretien.
La Libye a annoncé « un cessez-le-feu » après le vote de la résolution de l’ONU. Exclut-il pour autant un recours à la force ?
Il faut bien préciser que la résolution de l’ONU ne prévoit pas d’automaticité dans le recours éventuel à la force en Libye. Le fait d’acter une zone d’exclusion aérienne est une chose. Le fait d’aller vers une opération armée en est une autre. Rien dans la résolution ne permet de l’entrevoir. Une phrase dit qu’il est exclu d’avoir une occupation sur le territoire. Le recours à la force ne peut intervenir que par des frappes ciblées. Mais sur le principe, cette résolution est plutôt une forme d’embargo.
Concernant la France, elle interviendrait en dehors du cadre de cette résolution de l’ONU. L’enduit général consiste à dire qu’il faut protéger les civils. Si la France lance une opération, elle le fera en ne représentant qu’elle-même et les autres forces qui l’accompagnent. Mais pas l’ONU.
Suite au cessez-le-feu libyen, on ne pas non plus dire qu’il n’y aura pas d’intervention française. C’est le grand flou pour l’instant. On a du mal à voir la détermination des uns et des autres. Si on interprète la posture libyenne officielle, à mon avis les Libyens essaient d’anticiper un recours à la force. Et ils sont en train de dire : « Nous donnons un gage de bonne volonté et en échange nous ne voulons pas vous voir recourir à la force ». Les Libyens essaient de court-circuiter la possibilité d’une frappe.
Peut-on parler de victoire de la diplomatie française ?
Franchement, si on avait à parler d’une victoire de la diplomatie française, il n’y aurait pas juste une seule zone d’exclusion aérienne mais une préparation franche à une opération militaire. Ce qui se profile, c’est un embargo, comme celui imposé à l’Irak début 90. Mais personne ne lui laissera 10 ans pour contourner l’embargo. La voie française n’a absolument pas connu d’aboutissement, bien au contraire. Eux-mêmes sont allés un peu trop loin dans l’interprétation de ce qui pourrait se profiler. Sur la disposition de certains pays arabes à participer à une opération armée, évoquée par Alain Juppé, sur le fond, certains sont en effet disponibles, mais jugeons les actes. Pour l’instant le Conseil de sécurité essaie encore de tempérer et de reporter quelque peu le scénario militaire car il n’y a pas de consensus.
Comment expliquer l’évolution de la position française : dans le cas tunisien, elle a été très prudente, dans le cas libyen, elle est très active ?
Ce qui me frappe dans ces divergences de positions françaises, c’est qu’on est constamment dans l’improvisation. En Tunisie, c’était une approche de type artisanal avec Ben Ali qui a été soutenu jusqu’ à la fin. La France avait un coup de retard. Pour la Libye, il y a aussi une forme d’improvisation. Par exemple quand Alain Juppé négocie à Bruxelles et qu’en parallèle Nicolas Sarkozy annonce la reconnaissance du conseil national de transition libyen, là on casse certaine des normes en pratique. Pareil avec Bernard-Henri Levy. Si Nicolas Sarkozy vient à ressentir par intuition une situation, il ne s’embarrasse pas de passer par une procédure de concertation.
Nicolas Sarkozy cherche-t-il à redorer le blason de la France et le sien après les loupés de la révolution tunisienne ?
La France essaie d’avoir une posture singulière. La France cherche à montrer qu’elle est en capacité de leader. Nicolas Sarkozy avait abondé en ce sens. L’Union pour la Méditerranée en est l’exemple. La France dit qu’elle peut être ce phare, ce guide qui permettrait d’agir de manière efficace dans l’évolution en Afrique du nord. Il ne faudrait pas s’étonner de voir la France prendre des initiatives de son propre chef. Au risque d’être en contradiction avec les Américains.