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jeudi 3 mars 2011

Pour John Galliano, la fin de l’âge Dior approche

L’avenir professionnel du couturier, marqué par le suicide de proches, paraît compromis. Retour sur des années flamboyantes.

John Galliano lors du défilé printemps-été 2006 de prêt-à-porter Dior, le 4 octobre 2005 à Paris. - © AFP Francois Guillot

La vidéo diffusée hier par le tabloïd britannique The Sun, où John Galliano dit qu’il aime Hitler, et ses déclarations supposées au café La perle à Paris (lire ci-contre) compromettent l’avenir professionnel de John Galliano. Si elle attend encore les résultats de l’enquête, la direction de Dior réfléchit sans doute à mettre fin au contrat de son styliste, même si, dans son entourage professionnel, personne ne l’a jamais entendu tenir des propos antisémites.

Depuis trois semaines environ, John Galliano s’est enfoncé, d’après plusieurs de ses proches, dans une spirale morbide et hautement alcoolisée. Ses plus proches collaborateurs s’inquiétaient de ne l’avoir pratiquement pas vu dans les ateliers, alors que le prochain défilé Dior est prévu vendredi. Ces dernières années, son état physique - au gré des injections de botox, des séances à répétition de cardio-training, de régimes d’amaigrissement aussi spectaculaires que violents, de son addiction à l’alcool - s’était dégradé et le personnage avait quelque chose de tristement pathétique. Ses saluts, à la fin des shows, faisaient ricaner discrètement l’assistance, dont une partie se précipitait ensuite en coulisses, l’occasion de féliciter le talent du maestro. On l’a vu déguisé en Napoléon, en cosmonaute ou, en janvier, en rocker des années 60. «C’est moi qui ai créé ce monstre parce qu’en choisissant de venir à Paris, j’aspirais à une reconnaissance internationale», fanfaronnait Galliano en 2006. Cinq ans plus tard, son regard halluciné devant les flashes des photographes, ses mains tremblantes ne laissaient plus de doute sur sa maladie, sa dépression.

Scandale. Né il y a cinquante ans à Gibraltar d’un reporter anglais devenu plombier et d’une mère espagnole friande de mode, Juan Carlos Galliano sort, en 1984, lauréat de la Saint Martin’s School de Londres - ce qui se fait de mieux en la matière. Après dix ans d’errances professionnelles, soutenu à bout de bras par des amis mécènes, il prend la direction de Givenchy. «Plus d’un m’a vu comme un méchant punk décidé à torpiller l’image de la vénérable maison», expliquera Galliano. Sa créativité fait taire les mauvaises langues. En 1996, il est nommé à la tête de Dior (propriété du groupe LVMH). Le jour de son arrivée, il a coupé ses dreadlocks et se présente en costume cravate. «Je n’ai jamais été aussi mal à l’aise de ma vie», dira-t-il ensuite. Son ascension jusqu’au sommet de la célébrité planétaire correspond aussi à celle d’une industrie un peu vieillotte, qui va muter en un business mondialisé et hypermédiatisé. Avec lui, les sacs, les parfums, les cosmétiques prennent une importance toujours plus grande dans le chiffre d’affaires. Les défilés de Galliano font parfois scandale, notamment en 2000 quand il s’inspire, pour sa collection haute couture, des vêtements des clochards. Des critiques s’élèvent contre l’obscénité du propos. Lui répond - maladroitement - qu’il faut y voir «une version romancée d’un style de vie».

Mal entamée, la décennie 2000-2010 sera pourtant celle de tous les succès. John Galliano est associé à une esthétique bling-bling, excessive dans les strass et l’omniprésence des logos. Mais il fait un tabac sur les marchés émergents, chinois ou russe. Le rythme s’accélère. Il faut organiser des shows à travers le monde, multiplier les collections capsules (des minicollections thématisées) et contrôler l’image publicitaire de la marque. Pour trouver l’inspiration, Galliano part deux fois par an en voyage d’études (qui se résume à de longs séjours dans des palaces en Inde, en Egypte ou en Argentine). En 2007, Dior tient à fêter ses soixante ans et une décennie de succès de Galliano. Mais, trois mois avant le défilé, le compagnon et bras droit de Galliano, Steven Robinson, est retrouvé mort dans son appartement parisien. On parle d’overdose médicamenteuse, sans que les circonstances du décès soient éclaircies. Robinson travaillait sur toutes les collections de Galliano. «Quand tous ses proches répétaient "Oh ! Magnifique ! John, tu es un génie", il n’y avait que Steven pour lui dire : "Je ne crois pas que cette idée fonctionne"», déclara Norman Baine, ami de longue date du couple Galliano-Robinson.

Un mois plus tard, une autre proche de Galliano, la styliste Isabella Blow, se suicide en avalant du désherbant. Galliano, effondré, replonge dans les préparatifs du méga show. Dans l’orangerie de Versailles, il présente une collection anniversaire dont chaque robe se veut une relecture d’un tableau de maître (Rembrandt, Goya, Vélasquez, Picasso). Le show, fastueux et démesuré, est célébré par la presse internationale. Mais de ces maquillages blafards, de ces robes lourdes aux architectures délirantes, transpirait surtout une certaine morbidité. Le suicide, l’an dernier, d’Alexander McQueen, lui aussi élève à la Saint Martin’s School, l’a sans doute profondément affecté.

Solitude. Les derniers défilés de Galliano s’enfonçaient dans une relecture obsessionnelle de l’histoire de la mode. Et lui dans une solitude abyssale. Pour son éventuelle succession, le nom d’Hedi Slimane, directeur artistique de Dior Homme jusqu’en février 2007, circule beaucoup. Son esthétique sobre et sa personnalité réservée en font l’exact inverse de John Galliano. Cette hypothèse, si elle était avérée, entraînerait une profonde remise à plat de la stratégie de la marque et de son style.