Actualisé à 20h30. Le président tunisien Zine El Abdine Ben Ali a annoncé ce soir ne pas avoir l'intention de briguer un nouveau mandat, a dit avoir demandé de cesser les tirs sur les manifestants et a promis la liberté «totale» de l'information et de l'internet.
«Pas de présidence à vie et je refuse de toucher à la limite d'âge fixée par la Constitution», a déclaré le président, au pouvoir depuis 1987 et qui a été réélu en octobre 2009 pour un mandat de cinq ans. Il était sollicité par des membres de son parti pour se représenter en 2014.
«Assez de tirs à balles réelles», a-t-il ajouté dans ce discours prononcé en tunisien dialectal dans une intention apparente de se faire comprendre par tous les Tunisiens.
«Je vous ai compris», a martelé le président à plusieurs reprises, avant de promettre la «liberté totale» de l'information et de l'accès à internet, sujets sur lesquels il était critiqué notamment par les Etats-Unis.
Dans un aveu d'un caractère exceptionnel, le président tunisien a également admis avoir été «trompé» sur l'analyse de la crise sociale qui agite la Tunisie depuis près d'un mois et affirmé que l'enquête qu'il a ordonnée serait indépendante et établirait les «responsabilités de chacun».
Des dizaines de manifestants ont été tués par les tirs des forces de l'ordre ces dernières semaines dans une vague de protestation sans précédent contre le régime de Ben Ali, qui dirige le pays d'un main de fer depuis 23 ans.
La France hausse le ton sous la pression des critiques
S'exprimant après une rencontre à Londres avec son homologue britannique David Cameron, le Premier ministre François Fillon a lancé un appel à la retenue et au dialogue, et surtout dénoncé pour la première fois la répression par les forces de sécurité du président Ben Ali.
«On ne peut continuer dans cette utilisation disproportionnée de la violence», a-t-il dit, rejoignant les positions exprimées par l'Union européenne et l'administration Obama qui avaient déjà condamné l'usage de la force dans des termes similaires.
Alors que la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) chiffre à au moins 66 -- dont un Franco-Tunisien-- le nombre des morts depuis le début des troubles mi-décembre, la ligne de non ingérence et d'extrême retenue du gouvernement français apparaissait de plus en plus difficile à défendre.
La France va devoir adopter «une position forte de condamnation de la répression inacceptable» menée contre la contestation sociale, avait lancé plus tôt jeudi la dirigeante du Parti socialiste (PS, opposition), Martine Aubry.
«On tire sur des gens, il y a des morts» et en France «on a le silence», avait accusé le chef de file des députés PS Jean-Marc Ayrault. Selon lui, «la voix de la France aujourd'hui est totalement embarrassée» et la diplomatie française ménage un «régime corrompu et policier».
Les socialistes français, dont certains jugent désormais «inévitable» un départ de Ben Ali, ont lancé une salve de critiques contre les ministres, qui, à l'unisson, se contentaient de «déplorer» les affrontements et d'appeler à l'«apaisement».
La ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie avait donné le ton mardi en suggérant devant l'Assemblée nationale de se livrer à une analyse «sereine et objective» de la situation et de ses causes économiques, plutôt que de «s'ériger en donneur de leçons».
Elle avait proposé à la Tunisie «le savoir faire» des forces de sécurité françaises, qui «permet de régler des situations sécuritaires de ce type» sans pertes humaines.
La France, ex-puissance coloniale, est traditionnellement très prudente dans ses prises de positions à l'égard du régime du président Ben Ali, un de ses alliés les plus proches en Afrique du Nord.
Au moins 66 morts depuis la mi-décembre
«Nous avons une liste nominative. On a recensé 58 morts depuis le début des troubles, hors Tunis. On vient de recevoir confirmation de 8 morts et 50 blessés dans la nuit dans l'agglomération de Tunis», a déclaré Mme Belhassen.
«C'est un massacre qui continue. La priorité des priorités aujourd'hui est d'arrêter ce massacre», a-t-elle ajouté.
«Ce qui s'est passé cette nuit à Tunis est très grave. On n'a jamais vu ça. Les forces de l'ordre ont tiré sur des gens» qui s'étaient rassemblés dans plusieurs banlieues en dépit du couvre-feu décrété mercredi dans la capitale, a-t-elle dit, s'appuyant sur des témoignages de familles de victimes, des sources hospitalières et associatives.
Un précédent bilan établi par la FIDH faisait état mardi d'au moins 35 morts après les violences du week-end.Au cours de la seule nuit de mercredi à jeudi, l'ONG a recensé, outre des victimes dans la capitale, 12 tués dans des villes de province, dont un mort à Sfax, «ville industrielle du littoral où un jeune de 18 ans, Omar El Haddad, a été tué» à l'issue d'une manifestation qui «avait rassemblé 5.000 personnes».Les autres décès ont été enregistrés à Beguèche (Sud, 3 morts), Douz (Sud, 3 morts), Dour Chabane, dans la banlieue de la ville touristique de Nabeul (Est, 3 morts dont une femme), Hammamet, célèbre pour ses plages (Est, un mort, «un chef de réception d'un hôtel atteint d'une balle») et Thala (Centre, un mort, un sourd-muet n'ayant «pas réussi à se mettre à l'abri»).
«Le bilan que nous avons établi est provisoire. Il n'est pas complet car nous n'avons pas pu faire un travail de recensement tous les jours. Il va sûrement s'alourdir très vite», a ajouté Souhayr Belhassen.
Le bilan officiel donné par le gouvernement tunisien fait état de 21 morts et n'a pas été actualisé depuis le début de la semaine. Une source syndicale tunisienne avait alors fait état de plus de 50 tués.
Jeudi matin, plusieurs centaines de manifestants ont été dispersés à coup de grenades lacrymogènes dans le centre de Tunis, a constaté une correspondante de l'AFP.
La Tunisie est confrontée depuis la mi-décembre à une révolte sans précédent. Une contestation sociale liée au chômage des jeunes diplômés dans le centre déshérité du pays a pris un tour politique et s'est étendu aux villes touristiques du littoral. Les manifestants dénoncent désormais ouvertement le régime «autoritaire» et «corrompu» du président Zine El Abidine Ben Ali.
Une Suisse d'origine tunisienne tuée durant les violences
Une Suisse d'origine tunisienne a été tuée en Tunisie en proie à des troubles depuis mi-décembre, a annoncé le ministère helvétique des Affaires étrangères (DFAE), confirmant une information de la radio suisse.«Le DFAE confirme le décès d'une citoyenne double-nationale en Tunisie», explique-t-il dans une note envoyée à l'AFP.L'ambassade de Suisse à Tunis est «en contact avec les proches» (de la victime), poursuit-il sans donner plus d'informations «pour des raisons de protection des données et des personnes».Selon la radio suisse qui a interrogé son frère, cette femme suisse, «membre du personnel soignant du CHUV (hôpital) à Lausanne, a été tuée mercredi soir au cours d'une manifestation à Dar Chaabane, dans le nord de la Tunisie».
Un civil tué par la police dans la banlieue ouest de Tunis
Magid, un jeune de 25 ans, a été mortellement blessé par des tirs de la police, une heure environ avant le couvre-feu», a indiqué ce témoin, un habitant de la cité, théâtre de violences dans la nuit de mercredi à jeudi.
Selon la même source, ce civil a «essuyé des tirs quand il se pressait pour regagner son domicile situé près du poste de police dans la cité», voisine de celle d'Intilaka.
Aucun bilan officiel n'était disponible pour les affrontements entre forces de l'ordre et jeunes manifestants qui ont éclaté dans ces deux cités dans la nuit de mercredi à jeudi.
La France est «vigilante» mais «n'a pas à s'ingérer»
La France est «extrêmement vigilante» face au mouvement de contestation en Tunisie, «pays ami», et à la répression des manifestations par les autorités, mais elle «n'a pas à s'ingérer» dans une situation «locale», a estimé aujourd'hui le ministre de l'Education, Luc Chatel.
Interrogé sur Radio Classique et i-Télé, il a par ailleurs dit «toute (son) émotion» et son «soutien à la famille» d'un professeur d'informatique de l'Université de Technologie de Compiègne (nord de la France), tué à Douz (sud) lors d'une manifestation qui a dégénéré.
Cet homme, Hatem Bettahar, «serait franco-tunisien», a indiqué jeudi le ministère des Affaires étrangères.
«Nous suivons de près tout ce qui se passe en Tunisie. En même temps, la France n'a pas à s'ingérer dans les affaires de la Tunisie», a déclaré le ministre, en réponse aux critiques de l'opposition dénonçant un «silence» de Paris. Il s'agit d'«une situation locale du gouvernement tunisien», a estimé M. Chatel.
«La Tunisie est un pays ami, nous sommes extrêmement vigilants sur ce qui se passe là-bas et fortement préoccupés. Nous appelons à une sortie de crise, nous sommes vigilants par rapport à ce qui se passe en matière de respect des droits de l'Homme, je crois que tout est dit dans cela», a-t-il ajouté.

