Le président tunisien Ben Ali a quitté le pays, laissant derrière lui le chaos. Le gouvernement de transition tente tant bien que mal de résoudre les épisodes de violence dans la capitale mais l’avenir reste flou
Zine El Abidine Ben Ali avait promis de quitter le pouvoir avant 2014. Il l’a fait vendredi. Après 23 ans de règne sans partage et un mois de révolte populaire, le président tunisien s’est envolé vers l’Arabie Saoudite, non sans emporter avec lui 1,5 tonne d’or (45 millions d’euros). "Le royaume salue l’arrivée de Zine el Abidine ben Ali et de son épouse", est-il écrit dans un communiqué laconique diffusé par l’agence officielle de presse saoudienne. La population tunisienne n’a pas caché sa joie à l’annonce du départ de celui qu’elle tient pour responsable de ses difficultés économiques. L’ancien Premier ministre, Mohammed Ghannouchi, a été parachuté à la tête de l’autorité de transition qui devrait nommer un gouvernement aujourd’hui et organiser des élections dans les prochains mois.
Guerre ouverte à Tunis
Si un vent de démocratie souffle enfin sur le pays, le calme n’est pas encore revenu dans les rues tunisiennes. Dimanche, de violents affrontements ont opposé les forces de sécurité et des fidèles de l’ancien président Ben Ali à Tunis. Des tirs ont ainsi été échangés dans l’après-midi devant le siège du Parti démocratique progressiste (PDP), un parti d’opposition. Près de l’avenue Bourguiba, la lutte armée a duré pendant deux heures. Deux francs-tireurs ont été abattus selon la télévision publique. Pendant le couvre-feu, l’armée a donné l’assaut au palais présidentiel de Carthage pour déloger les trouble-fêtes. Devant l’insécurité ambiante, des groupes d’auto-défense se sont créés dans la plupart des quartiers de la capitale. Des hommes armés de simples bâtons tentent de repousser les vandales mais la liste des victimes continue de s’alourdir.
Les pro-Ben Ali arrêtés
Mohammed Ghannouchi a averti dimanche soir que les autorités de transition ne feraient preuve d’"aucune tolérance" envers ceux qui sèment le chaos dans le pays, dans une déclaration téléphonique à la télévision publique. Les exactions et les pillages contre la population semblent émaner des sympathisants de Ben Ali qui souhaiteraient ainsi préparer le retour du président déchu. L’ambassadeur démissionnaire de la Tunisie à l’Unesco, Mezri Haddad, a accusé dimanche Ben Ali d’avoir "prémédité l’anarchie avant son départ" du pouvoir vendredi et de "téléguider les opérations". Avant d’ajouter : "Je l’accuse d’avoir choisi la politique de la terre brulée". Deux proches de l’ancien chef d’Etat ont d’ailleurs été arrêtés hier. Le général Ali Sériati, ancien chef de la sécurité de l’ex-président tunisien, a été rattrapé par la justice tunisienne alors qu’il allait s’enfuir vers la Lybie. Le neveu de l’ancien chef d’Etat, Kaïs Ben Ali, a également été interpellé pour avoir, avec dix autres personnes, tiré "en tout sens" à bord de véhicules de police.
Un pays divisé
La Tunisie reste donc toujours divisée entre nostalgie et haine de l’ère Ben Ali. Sa luxueuse villa de Sidi Bou Saïd a ainsi été pillée et vandalisée peu après son départ. Les proches de Ben Ali restés en Tunisie sont, eux, violemment pris à partie. Le neveu préféré de l’épouse de l’ancien président, Imed Trabelsi, est mort poignardé vendredi. Un pilote de Tunis Air, ayant refusé de prendre sur un vol à destination de Lyon des membres de la famille Trabelsi, est devenu depuis vendredi un véritable héros populaire. "J’ai fait mon devoir en tant queTunisien. Je regrettais de ne pas avoir pris part aux manifestations alors j’ai voulu participer au mouvement (de révolte) à ma manière. Je représente l’opinion publique tunisienne, j’avais aussi l’approbation discrète du copilote et du reste de l’équipage, ils ne voulaient pas participer non plus, je le voyais sur leurs visages", assure Mohamed Ben Kilani.
Un avenir incertain
Les islamistes semblent vouloir profiter de la confusion ambiante pour faire leur retour dans un pays qui les avait forcés à l’exil. Le chef du parti islamiste Ennahdha, Rached Gannouchi, a annoncé vouloir rentrer en Tunisieaprès plusieurs années passées à Londres. Il souhaite même participer à un gouvernement d’union nationale. La communauté internationale demande à ce que des élections libres soient rapidement organisées dans le pays afin de calmer les tensions. La ministre des Affaires étrangères française, Michèle Alliot-Marie a réitéré sa proposition d’apporter à l’armée tunisienne les conseils de la France pour "régler les situations sécuritaires".
Damien Bouhours (www.lepetitjournal.com) lundi 17 janvier 2011
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