Le Point.fr - Publié le 15/01/2011 à 09:19 - Modifié le 15/01/2011 à 19:11
Le Conseil constitutionnel a proclamé "la vacance définitive du pouvoir" et a nommé Fouad Mebazaâ président par intérim.
Après une contestation sans précédent de son régime, le président Ben Ali a quitté, vendredi, la Tunisie © afp photos / Fethi Belaid
Les nouveaux dirigeants tunisiens, confrontés aux pillages et aux violences, tentaient samedi de reprendre le contrôle de la situation en Tunisie, au bord du chaos après la fuite de l'ancien président Zine el-Abidine Ben Ali en Arabie saoudite. Sur le front politique, le Conseil constitutionnel tunisien a proclamé "la vacance définitive du pouvoir" et la nomination de Fouad Mebazaâ, président du Parlement, au poste de président de la République par intérim. Ce dernier a ensuite prêté serment. Ce nouveau retournement de situation, fondé sur l'article 57 de la Constitution, est intervenu à la demande de Mohamed Ghannouchi, Premier ministre sortant, nommé vendredi président par intérim après la fuite de Ben Ali et qui ne sera resté que vingt-quatre heures à ce poste. L'article 57 fixe de manière précise la transition à la tête de l'État. Il prévoit des élections présidentielle et législatives dans un délai de 60 jours maximum.
Réflexe de peur
La nomination, vendredi, de Ghannouchi en vertu de l'article 56 laissait la porte ouverte à un retour au pouvoir de Zine el-Abidine Ben Ali et avait été contestée aussitôt par des juristes et une partie de l'opposition. Sur le terrain, Tunis découvrait l'étendue des dégâts provoqués par une nuit de pillages, en ville et en banlieue, souvent attribués par plusieurs témoins à des partisans du président déchu. Des hélicoptères de l'armée survolaient la capitale et la police a bouclé le centre de la ville afin d'empêcher tout rassemblement, après des pillages. Des voitures volées étaient abandonnées dans les rues, des boutiques et résidences de luxe étaient incendiées, les propriétés de la famille de Ben Ali et de son épouse Leïla étant particulièrement ciblées. Des portraits de l'ex-président ont été brûlés et des jeunes gens commentaient dans des cafés bondés les derniers événements, tandis que des files se formaient devant les rares épiceries ouvertes.
Plusieurs quartiers de la banlieue ont vécu une nuit d'angoisse en raison de destructions et de pillages par des bandes de personnes encagoulées, selon des témoignages d'habitants apeurés, relayés par les télévisions locales. Dans la matinée, des chars et des blindés ont été déployés dans les rues de la ville, et des militaires et des forces de sécurité ont arrêté des dizaines de pilleurs présumés et les ont emmenés dans des camions. À la sortie nord de Tunis, des dizaines de personnes sortaient, en début de matinée, de l'hypermarché Géant emportant tout ce qui leur tombait sous la main, en l'absence de tout représentant des forces de l'ordre. Certains habitants ont accusé des miliciens liés aux proches du président en fuite d'être impliqués dans ces pillages, d'autres ont évoqué des prisonniers de droit commun évadés de centres de détention, certains mettant en cause des policiers.
Dans le centre-est du pays, au moins 42 prisonniers ont péri dans l'incendie d'une prison de Monastir. Selon un médecin, l'incendie s'est déclaré lorsqu'un détenu a mis le feu à un matelas dans un dortoir hébergeant près de 90 détenus, lors d'une tentative d'évasion qui a tourné à la panique en raison de coups de feu tirés près de la prison. Le réflexe de peur, hérité de 23 années de suppression des libertés, fait que de nombreux Tunisiens refusent de témoigner à visage ouvert devant la presse ou donnent de faux noms quand ils le font. Les animateurs de la télévision Tunis7, formatés par de longues années de louange au régime, tentent de s'adapter à la nouvelle situation en multipliant les appels à la vigilance et à une réaction des habitants face aux pilleurs.
"Regroupez-vous"
"Regroupez-vous, défendez nos demeures en attendant que l'armée arrive pour vous protéger", conseille un animateur à un téléspectateur qui raconte sa peur devant les mouvements de suspects dans son quartier de la banlieue de Tunis. "Mais avec quoi et avec qui ?" réplique cet habitant, qui rappelle qu'il ne peut pas mettre le nez dehors à cause de la peur et du couvre-feu.
Dans la matinée, le nouveau président tunisien par intérim, Fouad Mebazaâ, a affirmé que "tous les Tunisiens sans exception et sans exclusive" seraient associés au processus politique, dans une brève allocution après sa prestation de serment. Il a promis de consacrer le pluralisme et la démocratie et de respecter à la lettre la Constitution. Mebazaâ a également annoncé que le Premier ministre sortant Mohamed Ghannouchi était toujours chargé de former un nouveau gouvernement, ajoutant : "L'intérêt supérieur du pays nécessite un gouvernement d'union nationale."
Malgré l'état d'urgence, des milliers de personnes, sorties dans les rues de Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa et Regueb dans le sud et centre-ouest, se sont ensuite dispersées à la demande de l'armée, sans incident grave, en apprenant la nouvelle de son remplacement par le président du Parlement. Après 23 ans de règne sans partage, Zine el-Abidine Ben Ali, 74 ans, s'est enfui après un mois de soulèvement sans précédent contre son régime - baptisé "révolution du jasmin" - qui a embrasé le pays et fait des dizaines de victimes, tombées sous les balles des forces de l'ordre.