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mercredi 23 février 2011

Libye: à Paris, les manifestants dénoncent un "crime contre l'humanité"

Par Adeline Farge, publié le 22/02/2011 à 19:00

Un rassemblement de plusieurs centaines de personnes a eu lieu devant la Fontaine des Innocents, lundi 21 février, pour protester contre la répression en Libye. Reportage.

Enveloppé dans le drapeau libyen, Khaled a le regard rempli de frayeur. Avec les quelques mots de français qu'il maîtrise, ce jeune, qui a fui sa région natale de Benghazi, dans l'est du pays, crie son désespoir: "J'ai peur de la politique de Kadhafi. Il tue des enfants. La télévision et les portables sont bloqués et je n'ai aucune information. Je supplie la France d'intervenir. La Croix-Rouge doit aider, les médecins sont dépassés. Ma famille vit un génocide".

Au son de "Kadhafi assassin, résistance!", des centaines de manifestants se sont rassemblés au coeur de Paris, le 21 février, à proximité de la Fontaine des Innocents, dans le quartier des Halles. Portraits de victimes à la main, tous étaient unis pour dénoncer un "crime contre l'humanité". Devant la foule, un Tunisien au micro a salué "le peuple libyen et son sacrifice" et promis qu'"aucune goutte de sang ne serait versée gratuitement". Un peu à l'écart, Mustapha S. confie son inquiétude pour sa famille restée à Tripoli: "Depuis quelques jours, ils massacrent le peuple. Cette barbarie va renforcer les tensions et conduire à la chute du régime. Ce n'est pas une manifestation, mais une révolution contre un dictateur qui nous a privés de tout pendant quarante-deux ans". Avec colère, il ajoute: "Dimanche, le fils Kadhafi a dévoilé son vrai visage. Il est prêt à exterminer son peuple jusqu'au dernier pour continuer à diriger le pays". Le lendemain, 22 février, le colonel Kadhafi lui-même a adopté un discours semblable.

Face au déferlement de violence, la diaspora libyenne reconnaît son impuissance. "C'est notre famille et notre pays, explique Moundir, étudiant en école de commerce. Cela fait plaisir que le peuple se mobilise et j'aimerais être avec eux, mais on ne peut rien faire. Kadhafi est un malade. On ne peut plus discuter avec lui et on ne veut rien d'autre que son départ." Agé de 21 ans, ce jeune libyen, accompagné de son frère Taysir, a grandi un peu trop vite ces jours-ci. Détournant les yeux, ils confient à voix basse avoir perdu deux amis et un membre de leur famille dans la répression aveugle qui a sévi à Benghazi. Moundir en veut aux "politiques européens, dit-il, qui se foutent des populations arabes. Seuls l'argent et le pétrole comptent".

"Kadhafi assassin, Sarkozy complice"

Un sentiment que partage Mustapha S. "Je suis déçu par la communauté internationale. Ils ont vu les images de la répression et n'ont eu aucune réaction pour dire Non aux dictateurs", accuse-t-il. Un autre Franco-Libyen renchérit : "Kadhafi est un sanguinaire, qui n'a aucune légitimité. C'est un fou. La France prétend être le pays des droits de l'homme, mais elle n'appuie pas la révolte. Elle est avec les dictateurs". Du côté des associations de défense des droits de l'homme, aussi, les critiques fusent: "Toute personne qui croit aux valeurs de dignité et de liberté doit manifester sa solidarité avec ce peuple meurtri. Nous sommes là pour appeler le gouvernement à saisir cette occasion pour se réconcilier avec le peuple arabe. Pour le moment, la France n'est pas à la hauteur de ses relations historiques avec le Maghreb", déclare Achikham Hatim, de l'Alliance pour la liberté et la dignité.

Lors des différentes manifestations qui ont eu lieu en soutien aux révolutions du monde arabe, les Maghrébins de France ont souvent marché main dans la main. "En tant que Tunisienne, on sait ce qui se passe chez nos voisins. On est consterné et horrifié. Les dictateurs doivent être jugés", soulignent trois femmes tenant un drapeau de leur pays natal. A deux pas, Moncef Boushakin, un de leurs camarades, explique que "la première révolution a eu lieu en Tunisie. Nous sommes donc unis pour réclamer la dignité, la démocratie et la liberté. C'est la fin des dictatures dans le monde arabe. Le premier à être tombé est Ben Ali, mais la liste sera longue".

En attendant, certains redoutent le pire: "J'ai peur pour mes frères, confie une femme. Kadhafi finira par partir, mais le peuple le paiera cher. Il y aura des milliers et des milliers de morts". Pour sa part, Khaled, avec un sourire qui se dessine sur les lèvres et un regard gagné par l'espoir s'exclame: "C'est seulement une question de temps. Après son départ, je serai enfin soulagé. On pourra revivre et je rentrerai tout de suite au pays, inchallah!".