Seïf Al-Islam Kadhafi, 38 ans, a déclaré dimanche soir: "La Libye est à un carrefour. Soit nous nous entendons aujourd'hui sur des réformes, soit nous ne pleurerons pas 84 morts mais des milliers et il y aura des rivières de sang dans toute la Libye". (Ici en 2005 à Hanovre, devant un portrait de son père, le colonel Kadhafi.)
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Visage relativement mesuré d'un régime plus qu'autoritaire, le deuxième fils de la fratrie Kadhafi se montre menaçant face au mouvement de contestation qui grossit en Libye. Portrait.
C'est lui que le colonel Kadhafia poussé à la télévision, dans la nuit de dimanche à lundi, pour brandir la menace d'une "guerre civile" si le mouvement de contestation se poursuivait dans le pays. Seïf Al-Islam Kadhafi est le deuxième fils du leader et son nom signifie "glaive de l'islam". Il semble de retour dans les petits papiers de son père, "alors que son étoile brillait et pâlissait ces derniers temps au gré des humeurs" du "Guide", écrit Le Monde.
Connu en Libye pour ses multiples projets immobiliers, "l'architecte" est le plus impliqué dans la politique de son pays. Dans une interview accordée au Figaro en 2007, alors que son père rend visite à Nicolas Sarkozy, il prône des réformes économiques et évoque de gros contrats(dont certains n'ont jamais été signés). "C'est le moment d'investir en Libye, dans l'immobilier, le gaz, le pétrole, le tourisme. (...) Comme Dubaï, comme Singapour, comme Honolulu, (...) nous devons être un pays fort, heureux, riche et moderne."
Visage jugé relativement moderne et "fréquentable", Seïf Al-Islam, 38 ans, a représenté son père et son pays dans de nombreuses négociations sensibles ces dernières années, comme dans le règlement des attentats de Lockerbie (1988) et du DC-10 de la compagnie française UTA (1989). A la tête de la Fondation Kadhafi depuis 2000, il a indemnisé les proches des victimes à hauteur de 3 milliards de dollars et reconnu la "responsabilité" libyenne. Autre dossier: les infirmières bulgares et le médecin palestinien jugés coupables d'avoir transmis le virus du sida à des enfants libyens et condamnés à mort. Il jouera encore les intermédiaires pour leur libération et les indemnisations.
Quand il étudiait le rôle politique des ONG...
"Fils à papa et playboy qui voyageait accompagné par ses deux panthères lorsqu'il était étudiant", comme le décrit Le Monde, il a fréquenté l'International Business School de Vienne et la London School of Economics (LSE), après avoir suivi des études d'architecture à Tripoli. En Autriche, il se lie d'amitié avec Jörg Haider, leader de la droite populiste
Seïf Al-Islam Kadhafi, avec son ami Jörg Haider, en octobre 2004, lors de l'inauguration d'une exposition sur l'art libyen à Vienne.
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A Londres, il signe une thèse en 2007, relativement éloignée du petit Livre vert de son père et du ton qu'il a lui-même employé dimanche soir à la télévision libyenne. Son titre: "Le rôle de la société civile dans la démocratisation des institutions de gouvernance globale: du "soft power" à la prise de décision collective?" Il y aborde l'apport des ONG dans la démocratisation des institutions internationales telles que l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'auteur déclare s'appuyer sur des fondements philosophiques tels que "l'individualisme libéral" et "la théorie de justice globale".
Seïf Al-Islam, qui a obtenu un doctorat de philosophie à la LSE la même année, garde des liens avec cette université au fil des années. Il finance le programme d'études sur l'Afrique du Nord à hauteur d'1,8 million d'euros sur 5 ans à compter de 2009. Un cinquième de la somme seulement a été versé et le discours télévisé de Seïf Al-Islam, dans lequel il condamnait les manifestations populaires dimanche soir, pourrait lui permettre de faire des économies...
Des étudiants de la LSE ont entamé un sit-in pour réclamer le retrait de ses titres universitaires. Et le professeur David Held, qui a personnellement connu le fils du dirigeant libyen pendant ses études, a indiqué que ces liens allaient être rompus. "Au lieu de voir là une opportunité de réformes basées sur des valeurs démocratiques et les droits de l'homme, Seïf al-Islam Khadafi a mis en avant les menaces de guerre civile et d'intervention étrangère", a-t-il déploré. Selon lui, "pris entre sa fidélité à sa famille et son désir de réformer son pays, (...) il a tragiquement fait le mauvais choix".
Il n'a pas toujours été le favori
En effet, son parcours a été émaillé de déclarations ou de fréquentations susceptibles de l'écarter de la succession... En 2007, il reconnaissait par exemple que les infirmières bulgares avaient été "torturées à l'électricité". Il a même dénoncé la "mafia de fonctionnaires" qui dirige la Libye. Et d'après Le Figaro, "ses meilleurs amis et partenaires d'affaires, des hommes de sa génération, s'appellent Nathaniel de Rothschild ou le prince Harry, petit-fils de la reine d'Angleterre." Il fête son anniversaire avec faste au Monténégro avec le prince de Monaco et quelques milliardaires... Encore une fois, on est "loin du socialisme du Livre vert", souligne le quotidien.
Muatassim Kadhafi, l'autre frère puissant de la fratrie actuellement.
US Department of State
"Je suis un catalyseur. Un élément dont la présence produit des réactions, fait arriver les choses, comme en chimie. Pour l'avenir, je ne suis pas devin", disait-il de lui-même en 2007, dans l'interview accordée du Figaro. En effet, il irrite les conservateurs libyens. Intronisé coordinateur général des "directions populaires", une instance regroupant les personnalités politiques, économiques et tribales les plus influentes du pays, en octobre dernier, il est virtuellement le numéro deux du régime... Virtuellement seulement, car il n'a toujours pas pris ses fonctions.
Et sa mise en avant sur la scène publique provoque aussi des réactions "chimiques" dans sa fratrie! Surtout avec son frère Muatassim qui dirigerait actuellement la répression dans l'est du pays... et qui bénéficie du parrainage des plus conservateurs du régime. Ceux-là même que Seïf Al-Islam tente sans doute de rassurer en se montrant menaçant sur les écrans de télévision libyens.
Pris entre sa fidélité à sa famille et son désir de réformer son pays, il a tragiquement fait le mauvais choix