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mercredi 23 février 2011

Paris rattrapé par sa complaisance

il y a 8 min

Libération.fr


Les accords commerciaux, notamment les ventes d’armes, au dictateur libyen, et sa visite officielle à Paris en 2007, ternissent encore un peu plus l’image de la diplomatie française dans le monde.

NICOLAS CHAPUIS et THOMAS HOFNUNG

Le président Sarkozy et le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi le 1é décembre 2007 à l'Elysée.. (AFP Stephane de Sakutin)

La diplomatie française ressemble en ce moment à un film de Charlie Chaplin : tous les gestes sont scrutés dans l’attente d’une inéluctable chute. Ainsi, une rumeur a couru toute la journée d’hier sur Internet : les photos de la visite de Muammar al-Kadhafi à Paris, en décembre 2007, auraient été supprimées du site de la présidence. L’Elysée affirme que ces photos n’ont pas été effacées, pour la simple raison qu’elles n’y ont jamais figuré. Pourtant, le site Owni.fr a retrouvé la trace de trois photos, qui auraient disparu du serveur. Elles avaient été répertoriées à «Qaddafi», l’une des graphies anglaises…

Que l’Elysée ait ou non cherché à gommer le souvenir de cette visite à Paris du leader libyen importe peu : elle a bel et bien eu lieu. C’était un 10 décembre, journée internationale des droits de l’homme, et Nicolas Sarkozy avait fait dérouler le tapis rouge, provoquant la colère de l’opposition. Même au sein du gouvernement, cette visite en grande pompe avait choqué. Rama Yade, alors secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, avait été recadrée par Sarkozy pour avoir déclaré : «Notre pays n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits.»

Tente de Bédouin déployée dans le jardin de l’hôtel de Marigny, croisière en bateau-mouche avec fermeture de tous les ponts de la capitale pour raison de sécurité, «amazones» en guise de garde du corps : Kadhafi avait enchaîné les provocations tout au long de son long séjour.

A l’époque, le guide libyen avait reçu le soutien appuyé de Patrick Ollier. Assez proche du dictateur pour que celui-ci l’appelle «son frère», le compagnon de Michèle Alliot-Marie, alors président des amitiés franco-libyennes à l’Assemblée, avait plaidé sa cause sur Europe 1, expliquant que le moment était venu «de tourner la page» et assurant que Kadhafi était en train de lire Montesquieu. Lors de ce séjour conçu comme un remerciement à la suite de la libération des infirmières bulgares, arrachée quelques mois auparavant par Cécilia Sarkozy, la signature de contrats avoisinant «une dizaine de milliards de dollars» était annoncée par l’Elysée.

Missiles. Trois ans plus tard, le bilan est maigre. Dassault n’a pas réussi à vendre les 14 avions de combat Rafale évoqués à l’époque. Avant la révolte qui secoue le pays, Thales était toujours en discussion serrée avec Tripoli pour vendre un système de défense antiaérienne non armé (radar et communication). De même, les tractations se poursuivaient pour la vente d’une vingtaine d’hélicoptères d’Eurocopter (Fennec, Puma et Tigre). «Les discussions sont rarement conclusives avec les Libyens, vu la complexité du régime et sa façon d’aborder les négociations», déplorait hier un proche du dossier.

Pourtant, Paris n’aura pas ménagé ses efforts. En juillet, le chef d’état-major particulier du président Sarkozy, le général Benoît Puga, a conduit une délégation d’industriels de l’armement à Tripoli pour tenter de débloquer la situation. Mais, à ce jour, selon Lepoint.fr, Paris n’a réussi à caser à Tripoli que des missiles antichars Milan (168 millions d’euros), ainsi qu’un réseau de communication sécurisé Tetra destinée aux forces de police locales (128 millions d’euros). En lieu et place des Rafale, la Libye a rénové ses vieux Mirage F1, avec l’aide d’industriels français, et s’est tournée vers Moscou pour acquérir des avions de combat Sukhoï et Mig 29.

Lettre morte. En 2007, Paris avait aussi paraphé avec Tripoli un mémorandum de coopération nucléaire. A la grande surprise d’Areva, mais aussi des partenaires occidentaux de la France, tous mis devant le fait accompli. Ce document prévoyait la fourniture «d’un ou plusieurs réacteurs nucléaires civils» pour alimenter en énergie des usines de dessalement de l’eau de mer. Mais, là encore, le mémorandum est resté lettre morte.

Même si la France entendait visiblement faire mieux, elle reste largement devancée par l’Italie, le premier partenaire commercial de Tripoli (lire ci-contre) et son premier fournisseur d’armement (plus du tiers des ventes de l’Union européenne). La France est, pour sa part, présente dans l’industrie pétrolière (Total) et dans les travaux d’infrastructures (Vinci).

Hier, le Premier ministre, François Fillon, s’est déclaré «horrifié» par le «déferlement de violence» en Libye, pendant qu’une centaine de manifestants hostiles au régime se rassemblaient devant l’ambassade de Tripoli à Paris aux cris de «Kadhafi assassin, Sarkozy complice !»