Nombre total de pages vues

mercredi 23 février 2011

Succession de Kadhafi : le combat des frères ennemis

l y a 15 min

Le Figaro Prier, Pierre


Muatassim et Seif al-Islam qui apparaissaient jusqu'ici alternativement comme des successeurs possibles. Crédits photo : AFP - Montage lefigaro.fr
Muatassim et Seif al-Islam qui apparaissaient jusqu'ici alternativement comme des successeurs possibles. Crédits photo : AFP - Montage lefigaro.fr

Plusieurs clans s'affrontent autour de Muatassim et Seif al-Islam Kadhafi, deux des fils du Guide libyen.

En apparaissant dimanche à la télévision pour menacer les Libyens d'un «bain de sang», Seif al-Islam, le premier fils du deuxième mariage de Mouammar Kadhafi, a sans doute officialisé son statut de dauphin. Et marqué un point contre son frère Muatassim. Jusqu'ici, les deux hommes apparaissaient alternativement comme des successeurs possibles. Fidèle à sa méthode, le Guide de la révolution favorisait tantôt l'un, tantôt l'autre, sans jamais se décider. À tel point que les États-Unis, parrains sourcilleux du retour de la Libye sur la scène internationale, ne savaient pas sur qui parier. Tous deux furent donc invités et reçus comme des princes héritiers, Seif par George W. Bush à la Maison-Blanche, Muatassim au département d'État, sous Obama, par Hillary Clinton.

Seif al-Islam et son allure de trader branché, costume sombre et crâne rasé, fit meilleure impression dans les salons que Muatassim, cheveux dans le cou et costume marron scintillant. Chacun représentait un visage opposé du régime. Muatassim, directeur du Conseil de sécurité national, est l'homme des «services» et de la répression. Il est proche des deux caciques du système sécuritaire libyen : Abdallah al-Senoussi, beau-frère du colonel Kadhafi, chef des services de renseignements, condamné à la prison à vie par contumace par un tribunal français en 1998 dans le cadre de l'attentat contre un DC-10 d'UTA (1989), et Moussa Koussa, prédécesseur du premier, aujourd'hui ministre des Affaires étrangères.

Modernisation politique

Seif représente pour sa part l'aspect moderne et avenant de la Libye. À la tête de la Fondation Kadhafi, il a mené les négociations les plus délicates pour sortir des crises créées par son propre père, de l'indemnisation des victimes du Boeing de Lockerbie (1988) et du DC-10 d'UTA (1989) à la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien emprisonnés et torturés à Tripoli. Il a aussi contribué à faire libérer nombre de prisonniers politiques, en particulier des Frères musulmans.

Seif al-Islam s'était aussi fait l'avocat d'une modernisation politique de la Libye, embauchant une équipe de juristes étrangers pour rédiger un projet de Constitution. Côté personnel, ses relations avec les jeunes technocrates libyens et ses fréquentations de «people» mondialisés en font un personnage à part, loin du socialisme du «Livre vert». Ses meilleurs amis et partenaires d'affaires, des hommes de sa génération, s'appellent Nathaniel de Rothschild ou le prince Harry, petit-fils de la reine d'Angleterre. Quand le Guide le mettait à l'écart, ce n'était pas pour les mêmes raisons que son frère. Muatassim fut un temps exilé pour avoir assiégé, dans les années 1970, la caserne de Bab Azizia, résidence tripolitaine de son père, à la tête d'une section de chars. On ne sut jamais quelle part l'alcool avait joué dans l'affaire.

Seif al-Islam, pour sa part, a souvent été rembarré pour avoir mis les pieds dans le plat. Comme lorsqu'il déclara que la libération pour raison de santé, l'année dernière, du haut responsable libyen emprisonné à vie en Écosse pour l'attentat de Lockerbie, avait été conclue sur fond de marché pétrolier avec la Grande-Bretagne. Seif s'est également fait taper sur les doigts pour avoir voulu se doter d'un système de communication personnel. Sa station de télévision fut fermée à la demande des comités révolutionnaires, la milice politique. Tout cela sur l'ordre du colonel Kadhafi.

Mais, dimanche soir, dans un discours haletant prononcé sans notes à la télévision libyenne, Seif al-Islam a endossé le rôle du «méchant», signifiant aux révoltés que la Libye n'était «ni la Tunisie ni l'Égypte». Seif al-Islam se posait ainsi en véritable numéro 2 du régime et liait son sort à celui de son père, pour le meilleur et pour le pire.

Muatassim n'était en vue nulle part. Mais le clan des sécuritaires devrait jouer un rôle important dans les jours à venir.