Certains diplomates refusent de porter seuls la responsabilité des erreurs de la France et renvoient la balle vers la classe politique.
Nicolas Sarkozy a nommé Boris Boillon, "un homme de confiance", à la tête de l'ambassade de France en Tunisie. © Ammar Abd Rabbo / Abaca
Le Point.fr - Publié le 26/01/2011 à 11:53 - Modifié le 26/01/2011 à 15:26
Source AFP
La France a décidé, mercredi, de relever de ses fonctions son ambassadeur en Tunisie, Pierre Ménat, qui fait les frais des erreurs d'appréciations de la diplomatie française lors de la révolution tunisienne. Pierre Ménat, 60 ans, sera remplacé par Boris Boillon, jeune diplomate de 41 ans, ancien conseiller du président Nicolas Sarkozy et ambassadeur à Bagdad depuis mai 2009. Sa nomination a été avalisée mercredi lors de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, a annoncé le porte-parole du gouvernement.
Boris Boillon "a toute la sensibilité naturelle pour correspondre à la nouvelle ère qui s'ouvre désormais dans les relations franco-tunisiennes", a déclaré François Baroin. Le gouvernement français a été sévèrement critiqué pour avoir tardé à condamner la répression des manifestations et à soutenir la révolution du Jasmin. Ce n'est qu'au lendemain de la chute de l'ex-président Zine el-Abidine Ben Ali que Paris avait explicitement appuyé le soulèvement populaire.
Lundi, le président Nicolas Sarkozy s'était résolu à un mea culpa public, admettant que la France avait "sous-estimé (les) aspirations du peuple tunisien à la liberté". Il y avait en Tunisie "une désespérance, un sentiment d'étouffer dont il faut le reconnaître, nous n'avions pas pris toute la mesure". Il y a quinze jours, la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, après plusieurs semaines d'embarras de la diplomatie française face à la montée de la contestation en Tunisie, avait proposé une aide policière au régime Ben Ali, ce qui lui avait valu des appels à démission de membres de l'opposition.
Pas assez de contacts avec la société civile
Le remplacement de l'ambassadeur, qui apparaît comme la première victime des défaillances de l'appareil diplomatique, ne faisait plus guère de doutes ces derniers jours. De manière officieuse, il a été reproché à Pierre Ménat, en poste à Tunis depuis 2009, de n'avoir pas eu assez de contacts avec la société civile tunisienne.
Un télégramme diplomatique français, datant du 14 janvier et envoyé de Tunis à Paris quelques heures seulement avant la fuite en Arabie saoudite de l'ex-président Ben Ali, estimait que ce dernier avait plus ou moins repris le contrôle de la situation, selon Le Canard enchaîné et Le Monde. Selon une source ayant eu connaissance du télégramme, l'ambassadeur évoque cependant la possibilité que "rien ne soit joué" et que l'ex-président puisse tomber sous la pression de la rue.
La diplomatie négligée
Certains diplomates refusent de porter seuls la responsabilité des erreurs de la France et renvoient la balle vers la classe politique, dont la proximité avec le régime de Ben Ali a été maintes fois soulignée ces dernières semaines. Mercredi, un ex-ambassadeur en Tunisie a assuré dans une tribune à Libération que les autorités françaises étaient "parfaitement informées des dérives du système Ben Ali" et de l'évolution de la société, notamment du "mal-être de la jeunesse tunisienne".
Selon Yves Aubin de La Messuzière, en poste à Tunis de 2002 à 2005, l'expertise des diplomates a été "négligée". "L'analyse diplomatique privilégiait le risque de mouvements sociaux à la menace islamiste", a ajouté l'ex-ambassadeur, en rappelant que Nicolas Sarkozy, en visite en 2008 à Tunis, s'était félicité "des progrès de l'espace des libertés publiques". Les responsables français, de droite comme de gauche, affirmaient régulièrement que Zine el-Abidine Ben Ali était un "rempart contre l'islamisme".