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lundi 24 janvier 2011

Sihem Bensedrine : « La France doit geler les avoirs du clan Ben Ali »

Par Frédéric Burnand | Swissinfo | 20/01/2011 | 18H27

La journaliste tunisienne Sihem Bensedrine, opposante au régime de Ben Ali ce qui lui a valu, entre autre, d'être emprisonnée à plusieurs reprises, est rentrée à Tunis vendredi 14 janvier, juste avant que Zine Ben Ali ne quitte précipitamment la Tunisie. Porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie et rédactrice en chef de Radio Kalima, Sihem Bensedrine fait le point sur la situation post-révolutionnaire, dans une interview à notre partenaire Swissinfo.ch.

Swissinfo.ch : La Suisse a décidé de geler les fonds du clan Ben Ali qui se trouveraient dans ses banques. Quelle est votre réaction ?


Sihem Bensedrine :
Je lance un grand salut à la Suisse pour cette décision. J'invite la France à l'imiter, de même que tous les pays concernés. C'est le moyen le plus intelligent pour les Européens s'ils ne veulent plus avoir de clandestins tunisiens. Avec cet argent, nous pourrons fournir plus d'emplois à nos jeunes et les garder chez nous, parce que nous avons besoin d'eux.

Les représentants de l'ancien régime présents dans le gouvernement étaient présentés comme des technocrates et des hommes respectés. Ce n'est pas le cas ?

Pas du tout. Par exemple, Zouheir M'dhaffer (qui a démissionné ce jeudi, ndlr) a été l'un des deux architectes des institutions despotiques de la Tunisie. Un autre a été le directeur de la campagne de Ben Ali pour la présidentielle.

Même constat concernant le ministre des Affaires étrangères Kamel Morgane, une autre figure de l'ancien régime et dont on demande aussi le départ. Il peut sans problème être remplacé par le secrétaire d'Etat aux affaires extérieures. Cet ancien ambassadeur est un homme brillant et honnête.

Ce premier gouvernement de l'après Ben Ali incarne en fait la contre-révolution, la restauration. En persistant à refuser de négocier notamment avec le syndicat UGTT, ils cherchent à jouer la déstabilisation. Le choix n'est donc pas de garder ces personnes ou de sombrer dans le chaos, bien au contraire.

Mais d'aucun craignent, au moins en Europe, un vide du pouvoir. Est-ce infondé ?

Ce qui est rassurant en Tunisie, c'est que nous avons une vraie administration fidèle à la Tunisie et compétente. Elle peut administrer ce pays, même en cas de vide du pouvoir.

Je tiens aussi à saluer un phénomène magnifique qui se déroule depuis mardi dans les entreprises publiques. Les cadres ont mis à la porte les PDG nommés par Ben Ali et élu de nouveaux patrons. L'administration est en train de s'auto-épurer du cancer « benalien ».

De leur coté, les juges se sont réunis et ont réinvesti leurs locaux en écartant ceux qu'on appelle les juges de Leila, l'épouse de Ben Ali.

Partout, il y a un investissement à partir de la base pour reconquérir toutes les structures qui nous ont été confisquées.

On parle de 100 000 policiers qui étaient au service de l'ancien régime, sans compter la garde présidentielle et la police politique. Représentent-ils toujours un danger ?

C'est le point noir le plus difficile à régler. Car il n'est pas évident de leur retirer le pouvoir. Mais le plus important est de couper les têtes et de les remplacer par des personnes compétentes au service du pays, puisque la police obéit aux ordres. Raison pour laquelle Il faut une personne fiable et compétente à la tête du ministère de l'Intérieur et non une figure qui a trempé dans l'ancien régime.

Tout comme les comités de citoyens constitués dans les quartiers et les cités de toute la Tunisie, l'armée a bien joué son rôle pour protéger les citoyens des exactions des milices du RDC et des snipers de la police politique.

Mais je demande à cette armée de retourner dans ses casernes dès que sa tâche sera terminée. Les Tunisiens n'accepteront pas d'être dirigés par des généraux.

Ce soulèvement a souvent été présenté comme spontané. Comment s'est-il organisé ?

Dans tout le pays, la base de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a été le creuset des protestations. Il a aussi protégé les gens en évitant les débordements, la violence ou des actes terroristes. C'est en son sein que la résistance s'est organisée de manière pacifique. La direction du syndicat, favorable à l'ancien régime, a été mise devant le fait accompli. Elle a été obligée de suivre.

L'UGTT est également à la pointe des négociations pour un gouvernement réellement capable de faire la transition démocratique et non ces représentants de l'opposition (tolérée par l'ancien régime, ndlr) pressés de prendre un strapontin, en renonçant à négocier un virage démocratique digne de ce nom.

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