L’histoire est cousue de fil blanc. De l’intox pure et simple. C’est pourtant l’Elysée qui l’a glissée dans l’oreille d’un journaliste du ‘‘Monde’’ accrédité auprès de ses services, qui l’a diffusée sans vérifier. A quoi joue la France? Ridha Kéfi
L’histoire des lingots d’or que Leïla Ben Ali aurait réussi à faire sortir de la Banque centrale de Tunisie (Bct) et à porter avec elle dans son exil doré à Dubaï a été formellement démentie par les responsables de la Bct.
L’Elysée souffle à l’oreille des journalistes
Cette histoire a été soufflée par l’Elysée dans l’oreille du journaliste Arnaud Leparmentier, accrédité du quotidien ‘‘Le Monde’’ auprès de la présidence de la république française. Le journal l’a publiée sans prendre le soin de la vérifier. Toute la presse française et mondiale l’a reprise pieusement.
L’Elysée a-t-il été trompé par ses services secrets? Ces services ont-ils voulu mettre l’huile sur le feu, en sortant cette histoire abracadabrante, en vue de faire échouer une révolution qu’ils n’ont pas vue venir? Piètre vengeance en somme…
Les services secrets français, complètement hors du coup, et bidonnant à volonté comme de mauvais journalistes, ont raconté comment Leïla Trabelsi, la femme de l’ex-Président, se serait rendue à la Bct pour chercher des lingots d’or. L’ex-gouverneur Taoufik Baccar aurait refusé. Mme Ben Ali aurait appelé son mari, qui aurait d’abord lui aussi refusé, avant de céder.
«Il semblerait que la femme de Ben Ali soit partie avec de l’or», explique un responsable politique français. «1,5 tonne d’or, cela fait 45 millions d’euros» (80 millions de dinars tunisiens), poursuit-il.
Un conseiller de l’Elysée, l’air de celui qui en sait plus qu’il n’en dit, ajoute: «L’information vient essentiellement de source tunisienne, en particulier de la Banque centrale. Cela a l’air relativement confirmé.»
Cette histoire archi-fausse a été soufflée par l’Elysée à Leparmentier, qui l’a d’abord rapportée sur son blog (où, curieusement, elle ne semble plus figurer). Elle s’est retrouvée lundi, sous sa signature, dans le journal papier (assortie d’un démenti d’un responsable de la Bct).
Les services français piégés par Slim Bagga
Problème: la même anecdote des lingots, exactement la même, était rapportée par le site de l’opposition tunisienne Tunisnews, dès le… 3 janvier, sous la signature de Slim Bagga, opposant tunisien notoire exilé en France depuis près de 20 ans, comme raconté par Kapitalis. Et comme cela a été aussi souligné par le site ''Arrêt sur image''.
Notre journal a en effet écrit, le 17 janvier, prenant ses distances vis-à-vis de ces informations: «Sauf à croire que notre collègue Slim Bagga, qui vit depuis près de 20 ans en exil en France, possède des sources sûres au sein de la Bct ou des renseignements tunisiens, on doit prendre ces affirmations avec les réserves requises.»
Si on est indulgent, on peut dire que les services français sont d’une telle incompétence qu’ils ont cherché leurs informations sur des sites internet, ne prenant même pas le soin de les vérifier.
On peut cependant se poser des questions sur l’attitude de l’Elysée et de ses services. Et si la France, non contente d’assister à une révolution qu’elle n’a pas vu venir, cherchait à la faire échouer, en donnant en pâture aux journalistes des informations destinées à ajouter de l’huile sur le feu?
Les tentatives de désinformation française
L’histoire des lingots d’or n’est pas une tentative isolée de désinformation française sur ce qui se passe en Tunisie. Paris avait cherché, auparavant, à faire accréditer la thèse d’un putsch militaire en Tunisie, dans une volonté évidente de mettre en doute la loyauté de l’armée nationale.
Des experts es-catastrophe islamiste, qui ont longtemps émargé sur l’Agence de la communication extérieure (Atce), tel l’inénarrable Antoine Sfeir, sans parler des membres du lobby pro-Ben Ali dans la classe politique française, ont aussi cherché à brandir l’épouvantail islamiste. La vieille rengaine de «Ben Ali rempart à l’islamisme», souvent agitée par les dirigeants politiques français, et à leur tête le président Nicolas Sarkozy.
Quand on connaît l’ampleur des intérêts liant les grands groupes français aux membres de la famille de Ben Ali, on peut se poser des questions sur la position de la France, dont les réactions officielles à la révolution tunisienne, telles celle de Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères, proposant l’aide de la France à la Tunisie en maintien de l’ordre, sont d’un pitoyable ridicule.
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