L’ordonnance émise le 19 janvier par le Conseil fédéral suisse au sujet du gel des avoirs de certaines personnes originaires de la Tunisie continue de faire des vagues. Des personnalités tunisiennes figurent injustement sur cette liste truffée d’erreurs. Haykel Ezzeddine, Genève.
Cinq jours après la chute de Ben Ali, la Confédération a publié dans la précipitation une liste de noms sans avoir au préalable vérifié leur exactitude. Résultats: plusieurs hommes d’affaires, qui n’ont rien avoir le clan de Ben Ali-Trabelsi, sont livrés à l’invective populaire.
Règlements de comptes et manipulations
La télévision tunisienne a montré, avant-hier, au télé-journal du soir, l’histoire d’une personnalité connue dans le monde des affaires qui a été injustement incriminée la veille pour un détournement de terrain, alors qu’elle est complètement innocente.
Il y a des gens qui profitent actuellement de la situation pour régler des comptes avec la société! Cette personnalité connue des Tunisiens ne figure pas dans la liste incriminée. Mais d’autres se démènent depuis le 19 janvier pour prouver leur innocence à coup de communiqués, de lettres au Conseil fédéral et à l’ambassade de Suisse en Tunisie. Ça devient tellement pathétique que ces personnes passent leur journée à se justifier au lieu d’apporter leur soutien à une économie qui a besoin en ce moment de toutes les forces vives du pays.
Je prends un exemple et un nom. Mohamed Ben Jemâa, héritier et directeur de la Société Ben Jemâa Motors, concessionnaire de BMW. Une société prospère depuis 1967. Je lui ai posé quelques questions sur sa présence dans la liste du Conseil fédéral. Et voici sa réponse. «Je ne possède aucun avoir en Suisse, ni de biens immobiliers. Mon dernier déplacement en Suisse remonte à mars 2000 où j’ai passé quelques heures à Genève en transit avant de poursuivre mon voyage». Il ajoute: «J’ai été victime à plusieurs occasions du système du clan Ben Ali-Trabelsi (racket, usurpation et menaces) et je ne comprends pas la légèreté dont a fait preuve le Conseil fédéral en publiant une liste qui comporte des inexactitudes».
Vérification «difficile et complexe»
Pour connaître la position officielle suisse sur cette question, nous avons contacté les services du Département fédéral des Affaires étrangères (Dfae) afin d’avoir des précisions sur la publication d’une nouvelle liste probablement corrigée et mise à jour. Voici la réponse du porte-parole du Dfae, Pierre-Alain Eltschinger: «La liste n’a pas été adaptée jusqu’à présent. Certaines personnes mentionnées ont contacté le Dfae et ont fait valoir des imprécisions prétendues ainsi que des raisons qui militeraient, à leurs yeux, pour une suppression de leur nom de la liste. Le Dfae vérifie ces indications soigneusement et sur la base des informations disponibles en ce moment. Comme la situation en Tunisie n’est pas encore tout à fait normalisée, cette vérification peut s’avérer difficile et complexe. S’il devait être effectivement établi, qu’un nom apparaît à tort sur la liste, le Dfae prendra bien-sûr les mesures qui s’imposent».
Sur quel critère la Confédération suisse s’est basée pour établir sa liste? Comment a-t-elle enquêté et auprès de qui elle a puisé ses informations? Réponse de M. Eltschinger: «La liste contenue dans l’annexe de l’ordonnance du Conseil fédéral a été établie sur la base des informations disponibles sur les personnes ayant des contacts directs ou indirects avec l’ancien régime tunisien».
Réponse évasive s’il en est et qui ne dénote pas d’une réelle conscience des difficultés dans lesquelles les responsables suisses ont mis des hommes d’affaires et des groupes tunisiens, avec une légèreté qui frise l’inconscience. Berne peut botter en touche et en appeler à la confusion de la situation tunisienne pour justifier ses ratés, les personnes injustement éclaboussées par la publication de la fameuse «liste suisse» ne l’entendent pas de cette oreille.
http://www.kapitalis.com/fokus/62-national/2422-tunisie-suisse-des-noms-livres-en-pature.html