Le gendre du président de la Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali, s’est-il ou non réfugié à Montréal pour fuir la tourmente que vit son pays? Toujours impossible d’en avoir la confirmation. Chose certaine, il n’est pas le bienvenu pour tous, sa luxueuse demeure de Westmount ayant été vandalisée mercredi.
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La demeure que Mohamed Sakher El Materi a achetée pour 2,5 millions de dollars en 2008 et qui est depuis en rénovation semble inhabitée et vide pour cause de travaux.
Lors d’une visite de Rue Frontenac, qui tentait de vérifier si, comme le voulaient certaines rumeurs, El Materi s’y trouvait, nous avons plutôt constaté que la façade avait été copieusement aspergée de ce qui semble être du ketchup. Et le méfait semblait tout récent.
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La cossue demeure de Westmount de Mohamed Sakher El Materi. PhotoRogerio Barbosa |
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L'entrée a été aspergée de ketchup, donnant l’impression qu’il s’agit de sang.Photo Rogerio Barbosa |
Dans le contexte du vaste mouvement de contestation populaire qui secoue la Tunisie depuis un mois, réprimé de façon sanglante dans les derniers jours par le gouvernement, le méfait contre la maison d’El Materi cause peu de dommages mais est lourd de sens. C’est comme si on avait voulu imiter le sang.
La police de Montréal dit ne pas avoir reçu de plainte concernant ce méfait, et on n’a donc aucune idée de qui l’a perpétré.
Joint par Rue Frontenac, le consul de Tunisie à Montréal, Imed Sassi, a affirmé ne pas être au courant de cet acte de vandalisme, pas plus que de la présence ou non du gendre de son président.
«Je ne sais rien. Vous savez, moi, je fais des passeports et des actes de naissance. Je ne suis pas réseauté, on ne m’informe d’aucune de ces choses-là», a-t-il lancé, l’air exaspéré par la tourmente que causent les rumeurs de la présence d’El Materi à Montréal.
Ces rumeurs se sont propagées mardi, relayées par des dizaines de Tunisiens via les réseaux sociaux Facebook et Twitter. On disait que les filles du président Ben Ali fuyaient le pays mis à feu et à sang et se réfugieraient à Montréal, où elles disposent de la propriété de Mohamed Sakher El Materi, qui est vu par certains observateurs de la politique tunisienne comme un potentiel dauphin pour Ben Ali.
La goutte qui a fait déborder le vase
Ce qui a mis le feu aux poudres en Tunisie, un pays d’Afrique du Nord qui, pour les nombreux touristes étrangers qui y profitent de la plage et du désert, semble calme, voire relativement prospère, c’est le geste insensé de Mohamed Bouazizi.
Le jeune homme s’est immolé publiquement en décembre, dans la ville de Sidi Bouzid, au centre du pays, en guise de protestation contre la répression dont il dit avoir été victime quand la police lui a saisi un étalage de fruits qu’il vendait, semble-t-il, sans les autorisations requises.
Bouazizi est mort le 4 janvier.
Cette tragédie a malheureusement déclenché une vague de drames similaires et fait sortir de ses gonds une jeunesse, puis un grand pan de la population, qui dénoncent le chômage endémique au pays, la perte de libertés individuelles, la répression contre l’opposition et les atteintes à la liberté de presse. De bruyantes manifestations ont eu lieu dans tout le pays.
La police et l’armée tunisiennes ont, ces derniers jours, décidé d’intervenir massivement pour tenter de contrer les protestataires. Résultat: 21 morts, plusieurs tombés sous les balles des autorités, selon le gouvernement. Mais les syndicats annoncent plutôt une cinquantaine de morts.
Voulant probablement donner l’impression d’ouverture aux manifestants, le premier ministre, sous la recommandation du président Ben Ali, a démis de ses fonctions le ministre de l’Intérieur, Rafik Belhaj Kacem. Mais cela ne semble pas avoir apaisé les tensions. L’armée s’est installée dans la capitale Tunis où un couvre-feu a été imposé.
Le Canada préoccupé
Des interventions des forces tunisiennes que dénonce d’ailleurs le Canada.
«Le Canada est préoccupé par le fait que des manifestations pacifiques dégénèrent en violence généralisée en Tunisie. Nous sommes particulièrement préoccupés par les rapports selon lesquels des actes de violence, perpétrés au cours de rassemblements publics, auraient fait de nombreux morts et blessés, et mené à un grand nombre d’arrestations. Le Canada exhorte les autorités tunisiennes à modérer leurs forces de sécurité et à instituer un dialogue transparent avec la société civile, de façon à trouver des solutions aux problèmes sociaux et économiques auxquels est confronté le pays», a déclaré mercredi le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon.
Tout-puissants
Le président Zine el-Abidine Ben Ali a pris le pouvoir en novembre 1987 dans ce que certains qualifient de coup d’État. Premier ministre, il a en fait démis le président Habib Bourguiba pour cause de sénilité et pris sa place.
Au départ, il a donné de l’espoir aux Tunisiens, mettant en place des lois favorables à un meilleur respect des droits de l’homme et limitant la présidence à trois mandats. Loi qu’il abolira plus tard pour se maintenir en poste. Cela s’est toutefois gâté dans le futur. Par des lois empêchant littéralement à l’opposition d’exercer ses droits, il a toujours été réélu avec des majorités de 89 à 99 % des voix lors des élections que des organisations non gouvernementales qualifient de simulacres d’élections.
Selon Reporters sans frontières, Ben Ali est un «prédateur» de la liberté de presse et pour quiconque défend les droits de la personne.
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Gendre du président Ben Ali, Mohamed Sakher El Materi est devenu, à 30 ans, un empereur du monde des affaires tunisiennes. Il possède une maison à Westmount. |
Son gendre El Materi, lui, a connu une ascension fulgurante dans le monde des affaires tunisiennes pour devenir, par des méthodes controversées, une des plus grandes fortunes du pays. À 30 ans seulement, il est distributeur pour le pays des véhicules Volkswagen, Audi et Porsche à travers une société qui fournit les véhicules de toute l’administration tunisienne. Propriétaire d’une banque islamique, il s’est aussi plongé dans l’acquisition de journaux et a lancé une radio coranique, ce qui ne manque pas d’inquiéter les tenants de la liberté de presse quand on pense à ses liens avec le président Ben Ali. Plus récemment, il a pris le contrôle de l’opérateur de téléphonie Tunisiana, une opération de 1,2 milliard de dollars. Il est aussi député depuis 2009. Tout cela, avec comme diplôme un simple brevet de gestion.